Il est aujourd’hui une évidence accablante : la guerre contre l’Irak a eu un impact dévastateur sur la psychologie arabe. Le Marocain, le vrai, celui qui se sent blessé dans son âme, autant que dans son corps par ce qui est arrivé aux Irakiens, se dit humilié parce qu’incapable de meurtrir l’Américain. Il ne peut que vivre le martyre d’un peuple insoumis mais décapité au fil des jours avec cette sale guerre que rien ne justifie. Et, dans ce malaise, c’est toute l’identité du Marocain qui semble vaciller entre l’insensé et l’absurde…
Nous sommes tous responsables, à des degrés divers mais convergeant au même confluent identitaire, face à ce qui se passe en Irak. Voilà un peuple, qui vit la crise de sa démocratie depuis que le parti Baâth s’est autoproclamé gouvernant de l’Etat et de la société en Irak, soumis au sacrifice de son entêtement. Aujourd’hui, parce que quelque part des usurpateurs ont compris que l’Etat irakien pourrait être la négation matérielle d’Israël en tant que puissance moyen orientale, il a fallu détruire l’Irak, dans son entité intrinsèque comme à travers ce qu’il représente pour le conscient collectif arabe et musulman.
La faillite collective
En fait, dès 1990/91, les Arabe ont su que leur sort ne peut - ne pouvait - être que celui des vaincus. Dans leur rôle international, tout autant que dans la maîtrise de leur devenir. Car, en définitive, que signifie aujourd’hui être Arabe dans un monde conduit par la force, mais également et surtout par la puissance exponentielle que procure la domestication des leviers génériques des technologies de progrès et d’émancipation ?
Dans sa vie de tous les jours, l’être arabe (entendre tous ceux qui vivent en terre arabe) est soumis à une pression plurielle. Il vit d’abord l’engrenage des choix (critiquables, voire condamnables) politiques et sociaux de son Etat. Celui-ci, on le sait, a failli là où l’Occident a émerveillé autrui. Il est, ensuite, piégé par son identité qui en fait un individu sans vrais droits, tant est atrophiée son envie d’être citoyen à part entière, parmi sa société et dans son Etat là encore. Cet être arabe est, enfin, quantité négligeable dans les choix décisionnels de dernière instance des gouvernants qui façonnent son mode de vie. Les ingrédients premiers objectivant la psychologie zéro de l’Arabe sont donc là, enfouis dans le terroir de son appartenance national-identitaire. L’Arabe, né dans un système politique qui lui dénie tout mais surtout l’espoir de revendiquer sa totale liberté, comprend qu’il puisse finalement être la cible toute trouvée à l’insu de laquelle s’expriment toutes les volontés de puissance qui sèment la pagaille dans le monde d’aujourd’hui.
Quelle sensation alors cet Arabe peut-il vivre lorsque, de l’extérieur de ce qui fait son environnement délinquant, l’étranger lui signifie son inutilité existentielle dans l’absolu humain ? Car, la guerre menée par Américains et Anglais à l’Irak n’a qu’un seul sens : liquider, au sens matériel du terme, l’Irakien, tout l’Irakien, sans ressentiment quelconque ! L’Arabe, parce qu’il est forcément Irakien dans son être, ne peut que vivre la même apathie face à la destruction systématique qui anime la volonté américaine. Aujourd’hui, cela est tautologique, l’Américain tue l’Arabe dans l’Irakien. Les USA le savent et s’appliquent à foudroyer l’ego arabe là où il est. La psychologie degré zéro est dans cette ostentation à dire à l’Arabe sa taille mortifiée d’être à utilité nulle.
La leçon - si tant est aujourd’hui légitime de parler de leçon face au crime contre l’humanité dont est coupable l’Américano-Anglais - consiste en cette latitude humiliante à harceler notre conscient collectif. L’indigence arabe, il faut désormais se le dire sans ambages, est plus dans l’incapacité de notre corps à faire harmonie avec notre esprit, la blessure du nom propre, notre nom propre collectif, n’étant plus que caprice épistolaire face à ce qui fait la négation absolue dans laquelle nous jette le yankee, sous le regard apitoyé de l’Européen. Et, en cela, la liquidation identitaire qui implose à la figure sous les feux américano-anglais interpelle notre temps/mémoire passé à forcer nos gouvernants à faire comme ailleurs, c’est-à-dire à tout simplement reconnaître notre part de responsabilité dans ce qui engage notre destin. A cet égard, il est notoire que ce qui se passe en terre irakienne a signé définitivement la faillite collective arabe, en tous les cas dans l’état actuel des relations internationales ! Il est, en effet, acquis que la destruction de l’Irak nous plonge dans le chaos en termes de psychologie, de sociologie et de politique.
L’Arabe en dislocation terminale
Que suggère, finalement et pratiquement, pour les arabo-musulmans que nous sommes, cette guerre totale qu’imposent les Américains au monde via l’Irak ?
En termes de stratégie, nous l’avons écrit par ailleurs sur ces mêmes colonnes, la guerre contre l’Irak est un moment historique datant la suprématie sans partage des Américains sur le reste du monde. Dans sa mécanique pourtant, cette guerre semble être dirigée essentiellement contre l’Arabe, avant le musulman et le reste.
L’Irak, symbole du projet arabe d’intégration régionale, paie la facture de sa capacité à gérer son corps en parfaite maîtrise des leviers de développement. Par ailleurs, l’Irak fut le seul Etat arabe à avoir compris que les ressources naturelles du pays doivent servir la prise en charge intégrale de la destinée nationale, contrairement aux autres pays pétroliers arabes, vaincus qu’il furent par l’indécence ostentatoire et les signes exhibitionnistes de richesse. On comprend dès lors la perfidie du piège qui fut tendu à l’Irak par l’Occident - tout l’Occident - sans discernement aucun entre Américains et Européens des temps actuels.
Aujourd’hui, il est clair que les Américains font le sale boulot, le criminel boulot, à la place de tous ceux qui en veulent aux Arabes. Avec cette nuance dans les ambitions de simple désarticulation européenne et les instincts sauvages et barbares des Américains. La différence est donc plus dans le style que par rapport à la finalité. Il ne faut pas se méprendre, en effet, sur les enjeux de puissance qui commandent les relations internationales. L’union Européenne n’est pas plus altruiste que les USA. Tous savent que l’Arabe doit être dominé, sinon par le feu et la tuerie, du moins grâce à la différence technologique et en termes d’économie de développement. Cela est un constat primaire, tant est flagrant le fossé s’amplifiant à la folie entre le monde occidentalo-américain et celui arabe et, donc, forcément musulman !
Le rappel de cette triste réalité, que subit l’Arabe au plus profond de son être, atteint aujourd’hui sa dimension terminale. La guerre menée à l’Irak signe en fait l’entrée de l’Arabe dans l’angoisse absolue. Une angoisse synonyme de faillite d’un système de pensée revendicatif et militant qui caractérisait les Arabes dans un monde ingrat et pitoyable. Cette angoisse est là pour nous dire l’incapacité arabe à combattre l’Américain par ce qu’il comprend le mieux : le sacrifice de soi, à l’infini…
Najib BENSBIA, 13/03/2003