Une nouvelle ère s’ouvre désormais. Elle a pour date de départ le déclenchement de l’agression américano-britannique contre l’Irak. Commandé par les USA, le nouvel impérialisme est déjà là. Il a pour actes fondateurs la violence armée, la guerre-biceps et l’intimidation à tout venant ! Le tout remballé dans la délégitimation totale, intégrale et cardinale de l’ONU, du Conseil de sécurité et du droit international de la paix.
En contournant le ‘’niet’’ onusien, les Américains replongent la Communauté internationale dans le souvenir de la SDN, cette Société des Nations, ancêtre de l’ONU, qui ne pouvait plus, au début du 20è siècle, régler aucun des conflits opposant entre eux les Etats d’alors, notamment les conflits inter-européens. La solution fut donc de la dissoudre la SDN et réaffecter toute sa mission dans un cadre organisationnel nouveau, l’Organisation des Nations Unies. La SDN a péri de la tendance désastreuse à la guerre. C’est cette même logique qui va finalement perdre l’ONU par la grâce d’une imbécillité arrogante nommée Bush et Cie.
En effet, à l’insu et faisant fi du Conseil de sécurité, de l’opinion majoritaire des membres des Nations Unies et de la quasi-totalité de l’opinion publique internationale, le Président américain a fait la guerre à l’Irak, alors que toutes les causes ayant présidé à la mise au ban de la société internationale de l’Etat irakien en 1990-91 ont disparu aujourd’hui. Il n’y a plus que quelques zigoto qui osent parler d’armement de destruction massive irakien, tant est problématique la capacité de la logistique militaire. Pourtant, à Washington, le regard et l’intention sont bloqués sur une seule envie : détruire l’Irak, prendre place à Baghdad pour mieux recadrer le partage unilatéral des richesses énergétiques de la région. Car, finalement, seule l’ambition prétentieuse de repartir à zéro par le traçage d’une nouvelle carte de la dominance mondiale fait courir les stratèges guerriers des USA.
Il devient ainsi ridicule de ressasser ces gémonies américaines chantant le ‘’puritanisme démocratique’’ qui présiderait au changement de régime en Irak. Comme si les Irakiens étaient demandeurs. Parce que, dans le droit international, seul une demande expresse et volontaire des populations nationales peut justifier l’intervention armée de l’ONU. Cela avec l’aval unanime des membres permanents du Conseil de sécurité.
En fin de compte, les Américains, qui ont été la force poignante de la réussite du système des Nations Unies, il faut le dire honnêtement, seront - sont déjà - la cause de la décrépitude de l’ONU, et du Conseil de sécurité en premier. Il est important de le souligner ici, si les membres permanents de ce Conseil (surtout la France, la Chine et la Russie) acceptent, même à terme, le diktat américain, directement ou indirectement, passivement ou en demie teinte, c’en est fini de leur crédibilité, de leur force morale et de leur utilité. Un Conseil de sécurité tourné en bourrique ne peut plus se prévaloir d’un quelconque ascendant, aussi symbolique soit-il. Et c’est à cela que l’on assiste avec cette prétention belliqueuse américaine de défroquer Saddam et sa troupe.
Personne n’est dupe d’ailleurs. Les Etats Unis d’Amérique signifient au monde, tout le monde, à travers leur randonnée irakienne, que l’Univers est désormais soumis à la seule volonté qui satisfasse l’orgueil primaire américain. Il n’y a qu’à regarder le sourire idiot de Bush pour s’en convaincre. Cet orgueil primaire est aujourd’hui concentré sur Baghdad. Demain ce sera Damas, Tripoli et ainsi de suite... Dans cette chevauchée rancunière, le monde arabe demeurera l’éternel principal dindon de la farce. Merci Hutington ! Merci Fukuyama ! Merci Lénine !
Ah ! Lénine ! Voilà un homme, un Grand-petit homme qui a compris que le capitalisme a des vies multiples et insidieuses. Ce qui s’est passé au 19è et au premier quart du 20è siècle, sous prétexte de ‘’mission civilisatrice’’, a été accompagné d’une colonisation infernale de l’Afrique et de toute la péninsule arabique par l’Europe. Aujourd’hui, avec l’aide sémantique et rhétorique des ‘’valeurs démocratiques’’, les USA vont s’installer pour une longue durée, une très longue durée, au Moyen Orient, contrôlant, commandant et profitant de la richesse pétrolière de la région. Au début du 20 siècle, Lénine avait qualifié la colonisation européenne du monde comme étant le stade suprême de capitalisme. Aujourd’hui, à quelques décennies de ce stade, on fera dire à Lénine que la modernisation des alibis colonialistes est le stade final du nouvel impérialisme !
Nous l’avons écrit ici même, sur les colonnes de cette transgression, le monde est aujourd’hui un Univers fini. Et, parce qu’une précédente chronique présupposait un postulat qui se confirme aujourd’hui, l’emprunt répétitif est presque insistant. En effet, Le monde traverse-t-il sa dernière croisière qui bouclera la chaîne de l’Univers ? L’apocalypse n’est-elle pas dans la mise en scène d’un Hollywood miniature de la perception qu’ont les Américains de leur environnement. Car, en l’absence de référents contradictoires, c’est-à-dire antinomiques de par leur essence idéologique, les relations mondiales sont désormais gérées par le grand capital qui, pour mieux se démener à l’échelle planétaire, met à l’index ce qui ne cadre pas avec sa matrice conquérante.
La ‘’mort’’ du marxisme n’a-t-elle pas signé, pour l’idéologie capitaliste nihiliste, la fin de l’histoire qui voit dans la ‘’démocratie capitaliste’’ un mélange conceptuel édifiant dont les États-Unis sont le porte-drapeau ?
La fin de l’histoire ne s’articule-t-elle pas en l’affirmation que la démocratie libérale capitaliste est la forme politique ‘’naturelle’’ (autrement-dit accomplie), le point de non-retour de toute lutte politique (à l’échelle nationale et internationale). Pourquoi ? Parce que, dit l’apologie mercantile, la ‘’démocratie du libre-échange est le système politique qui satisfait le mieux les aspirations des individus en reconnaissant leurs droits à régler leurs affaires collectives et en leur donnant le maximum de liberté pour réaliser leurs propres objectifs’’ à l’échelle humaine !
Belle escroquerie ! N’y avons-nous pas cru, nous tous larbins des théories démocratiques apprises au rythme des cours universitaires effrénés sur la démocratie et ses vertus ? Cet enseignement, qui nous assaille dans la vie internationale de tous les jours, sert de leurre à l’échelle humaine pour que le crime d’État (celui américain contre l’Irak) soit formulé en acte salvateur de l’Humanité. Bien sûr, dans la logique de cet enseignement, le salut ne peut venir que de la force, le crime étant imputé au faible, qui ne peut qu’acquiescer au fait accompli. À son insu. À ses dépens.
Le cynisme est l’antidote de la vertu qui est, elle-même, en conflit permanent avec le mensonge. Les aspirations de l’Occident actuel, celui de la lutte contre le ‘’terrorisme international’’, ne sont pas celles des Arabes et, par extension naturelle, de tous les démunis de la planète. En cela, ni les Arabes ni les démunis qui parsèment l’Univers ne peuvent être insérés dans le projet politique (c’est-à-dire stratégique) de la société libérale capitaliste sous dominance suprême américaine. Ces Arabes et ces démunis ne peuvent que la subir, tant est profond le gouffre qui sépare l’ambition hégémonique de l’un et l’errance destructrice des autres.
Noyé dans le tourbillon capitaliste, le monde arabe est de plus en plus floué dans son présent ringard et honteux. La perception qu’ont alors les reclus de l’histoire (tous ceux qui ne s’identifient pas au modèle ‘’libéral et démocratique’’ occidentalo-américain) est orpheline. Car et tristement, ce modèle broie la vue de l’Humanité par le prêche de ‘’valeurs démocratiques’’ commandant au nouvel impérialisme sous la férule américaine !
L’Irak est encore à nouveau en achèvement de destruction. Et en cela, ce n’est pas simplement le souvenir d’un empire que l’on déstructure, mais aussi et plus encore une culture des Arabes que l’on englouti dans la pénombre de l’arrogance et de l’ignorance. Sous le regard pitoyable européen, foudroyé d’incapacité et de frigidité, peut-être aussi de... compassion généreuse!
Adieu Saddam ! Adieu l’ONU ! Bonjour les nouveaux impérialistes !
Najib BENSBIA, 27/03/2003