Le Maroc a une histoire tortueuse avec la liberté politique. Celle-ci suppose liberté d’opinion, d’expression, de manifestation et de croyance. En effet, dès les années soixante cinq du siècle passé du temps national, la question de la liberté a été posée de manière passionnée et passionnelle. Car elle présupposait un gouvernement démocratique et un exercice politique où peuvent s’exprimer librement toutes les tendances. Parcours sinueux mais combien porteur.
Cela a été difficile, parfois mortel, mais la liberté a fini par s’imposer comme référence principale de l’Etat démocratique auquel le Maroc tend aujourd’hui irréversiblement. Rappelons-nous au souvenir de ces années soixante/soixante dix du siècle passé, ces années dites de plomb où la seule évocation du mot ‘’politique’’ constituait un délit en soi, un acte répréhensible jusqu’aux infimes particules de notre subconscient marocain. Rappelons-nous, en effet, au souvenir de ces centaines de disparus politiques, de détenus d’opinion, d’exilés – volontaires ou pas -, de mascarades de procès qui n’avaient d’autre objectif que de jeter dans l’oubli tous ceux qui ont osé dire non à l’exercice politique dominant alors et à ses méthodes de gouvernance.
La traversée conflictuelle
Évoquer aujourd’hui ces années semble être un exercice presque oisif, tant les temps ont changé, le Marocain dit, écrit et décrie ce qu’il veut, pour peu qu’il sache faire la différence entre l’anarchie et l’exercice démocratique de la liberté. Mais était-ce pour autant facile d’en arriver à cet état d’esprit sans que les acteurs politiques, classiques et outsiders, aient payé de leur vie et dans leur chair le prix de ces espaces de liberté qui paraissent allant de soi en ce moment précis de l’histoire politique nationale ?
Il est évident que la liberté est encore problématique au Maroc. Elle l’est d’autant que ni l’Etat ni le citoyen marocain n’arrivent encore à bien tracer les frontières entre l’inconscience et la récupération. D’un côté, le Marocain bute sur sa propre perception des limites au-delà desquelles la liberté devient irresponsabilité et atteinte à autrui. De l’autre côté, l’Etat n’arrive pas encore à admettre qu’il est tout aussi obligé de respecter la loi qu’il a lui-même produite. De ces attitudes antagoniques est née l’incompréhension de la liberté faite acte citoyen. Si, par le passé et jusqu’en 1997, l’Etat sanctionnait l’exercice libre de la citoyenneté sans pour autant se sentir obligé de respecter les formalismes inhérents à tout exercice démocratique du pouvoir, aujourd’hui, avec le gouvernement de M. Abderrahman Youssoufi, les pouvoirs publics se sentent en devoir de justifier toute astreinte perchée sur la tête de mère liberté.
Cela n’est pas fortuit. Parce que l’Etat d’avant 1997 était un Etat personnalisé, un Etat où l’autorité se sentait et se voulait au-dessus de la loi. Aujourd’hui, parce que ceux qui ont été exclus de tous les champs de la liberté sont au centre de l’Etat et de la responsabilité, ce même Etat ne peut que limiter ses élans, parfois à son corps défendant, mais il le fait cependant. Ce n’est pas toujours facile, des impairs surviennent de temps en temps. En règle générale, la liberté a conquis le terrain de la revendication spontanée, alors qu’elle était acte isolé et courageux il y a à peine quelques années.
Parcours du combattant
La liberté n’est pas un acte fortuit ou proprement contestataire. La liberté est au fondement des droits et devoirs que la société, toute société qui aspire assainir les leviers de son destin, revendique et draine dans tous les recoins de sa traversée. Au Maroc, cela est tellement clair que dès 1958, l’Etat a compris que le champ d’expression de la liberté pourrait être celui qui pourrait créer des surprises. Le Code des libertés publiques marocain a, en effet, cet avantage d’avoir été une illumination à l’époque de sa création (nous sommes alors en pleine effervescence communiste et du parti unique) et, en même temps, un alibi pour toutes les déviations. Le système politique marocain, qui a la chance de bénéficier encore de la continuité structurelle à nos jours, a veillé à jouer avec ce code des libertés pour en faire ce que son évolution lui dictait. D’où la violation systématique de l’esprit et la lettre de la loi.
Il a fallu attendre 2002 pour voir ce code supporter la première sérieuse révision. En effet, l’ayant inscrit à son programme d’investiture dès 1998, le gouvernement Youssoufi a veillé à apporter les amendements quantitatifs et qualitatifs qu’il considère convenir à la conjoncture politique actuelle. C’est peut être en cela que la réforme du Code des libertés publiques a subi l’invective de la société civile. Mais, en tout état de cause, le champ de la liberté est devenu plus clair et plus clairvoyant qu’il ne l’a toujours été.
Certes, l’expression de la libre liberté porte l’empreinte de la société à un temps déterminé de sa trajectoire. L’histoire marocaine dira qu’au moment où l’Etat cherchait à réglementer la liberté, au regard de la pratique déjà concluante, la société a produit de nouvelles pratiques qui échappent à la réforme inscrite dans le temps présent. D’où l’intolérance des uns face aux autres et vice-versa. Il est cependant alerte de dire que c’est là un phénomène universel, la loi ne pouvant pas toujours prospecter le futur d’actions non encore assimilées dans le temps humain en consommation.
Que dire alors de cette évolution conflictuelle de la liberté dans le champs politique et social marocain ?
Bien des choses mais surtout ce constat : avec le gouvernement d’alternance, la liberté n’a jamais été autant honorée qu’à partir de l’année 1998, dans les imites bien comprises des uns et des autres des acteurs politiques en présence. Hasard, concours matériel et objectif de circonstances ou simple maturité d’une société avide d’actions ? Cela n’est certes pas un hasard, mais les deux derniers critères sont à prendre en compte, en plus d’un impondérable, le bouleversement dans la donne stratégique mondiale.
Bien sûr, l’exercice de la liberté au Maroc demeure non encore hors de tout danger. Parce que l’Etat marocain sent toujours les relents du passé. Parce que la société globale ne se trace pas toujours les limites nécessaires départageant la responsabilité de la désinvolture.
Najib BENSBIA, »La Vérité», 13/9/2009