Avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de la presse, il est attendu que le journaliste marocain revoie ces méthodes de travail et, surtout, son rapport à l’information. Car, de toute évidence, la profession a fait preuve de largesses inadmissibles par le passé, lointain et récent. Aujourd’hui, l’Etat de Droit que l’on oppose trop facilement à autrui s’impose à tous, y compris la presse, qui n’est ni plus ni moins lotie dans le cadre de la citoyenneté active voulue et recherchée par le Maroc du 3è millénaire.
Un journaliste, qui ne connaît pas la loi, est aussi délinquant que n’importe quel individu pour qui la tentation du crime est le repère fondamental de sa vie. Le métier de journaliste est plus qu’une profession. C’est un art aux règles devant être rigoureusement comprises par tous. Être l’objecteur de conscience, passif ou actif, de la société n’est pas une partie de plaisir. Il s’agit de la plus délicate tâche que puisse choisir tout un chacun qui croit trouver en ses ressources les moyens matériels et éthiques de briguer cette mission.
Des règles légales indépassables
La presse, parce qu’elle est supposée être un centre de contre pouvoir, sert de lanterne rouge à toute pratique sociale, entendre politique, économique, culturelle et institutionnelle défaillante. Rendre compte des événements, les interpréter dans leur factualité et éclairer leurs zones d’ombre revêtent donc une exigence professionnelle à toute épreuve. La force de la presse est justement dans sa capacité à lire les faits et à les placer dans leur véritable contexte, quels qu’en soient le coût et les conséquences. C’est en ce sens que la profession de journaliste est censée revêtir les caractéristiques d’un corps de métier au-dessus des soupçons ordinaires et ostentatoires. Un journaliste qui ne se trace pas des frontières éthiques indiscutables ne peut prétendre à l’honnêteté intellectuelle et morale, qui est à la base de la pratique journalistique saine et clairvoyante.
Depuis plus de trente cinq ans, le journalisme au Maroc a été géré au gré de la conjoncture politique dominante. Il a été honni et couvé à la fois, adulé et mis au ban de la société politique pour cause d’anarchisme ambiant. Entre l’un et l’autre de ces caprices, la loi a été la moins sollicitée pour régler les positionnements du politique et du social face au journaliste du temps marocain. Certes, le Code de la presse, tel qu’il a été adopté en 1958 (dans le cadre du Code des libertés publiques) a tracé les contours juridiques de l’exercice de ce métier ainsi que les droits et obligations du journaliste. Mais, comme pour le reste des chapitres de la vie nationale, le journalisme n’a vu la loi lui être appliquée que dans son volet lecture politique. Pourtant, le citoyen ordinaire a souffert de la diffamation, de l’injure et de l’invective que lui a accolé un journalisme délinquant, voire criminel. Parce que, dans sa lutte frontale avec le journalisme, la loi a obéit à l’appareil d’Etat qui n’en voulait qu’au volet conscientisation et revendication politiques du journalisme ambiant.
Il a fallu attendre les années quatre vingt dix du siècle passé pour voir le journalisme traité dans ses contours les plus ordinaires, un métier où les ‘’coupables’’ doivent être poursuivis dans le cadre de la loi, rien que la loi mais toute la loi. La diffamation est, depuis, la vedette des procès intentés à des journalistes indélicats ou peu soucieux de l’inviolabilité de la vie privée des gens.
La réforme du Code de la presse vient donc à un moment crucial de changements institutionnels, politiques et citoyens que connaît le Maroc actuel. Dans ses fondements, cette réforme a voulu que le journaliste sache que s’il se trompe de jugement fondateur de droits et d’obligations, il est passible de poursuites et de condamnations de manière plus distinctive que l’individu ordinaire, du fait même qu’il n’agit pas en personne ordinaire justement. Le journaliste, quand il fait état de faits, c’est toute l’opinion publique qui devient concernée. En conséquence, le droit à l’erreur doit être nul lorsqu’il s’agit de faits créateurs de dommages et de ruptures. La diffamation trouve son essence dans cette capacité irrémédiable à causer des préjudices directs à ceux sur qui l’épée journalistique s’abat. Car, dans sa mise en circulation de l’information, le journalisme étale la vérité. C’est cet étalage qui doit être exempt du faux ou de l’erroné.
Le nouveau Code de la presse, qui est entré en vigueur lundi 27 janvier 2003 (avec sa publication au bulletin officiel), s’il consacre la noblesse de ce métier, n’hésite pas à alourdir le volet peines (pécuniaires ou privatives de liberté) dès lors que la pratique journalistique tombe sous le coup de la loi. Il est, bien sûr, évident que le législateur a encombré la loi sur la presse de ‘’crimes’’ de lèse personnalités, mais là n’est pas le vrai problème. La vraie question est de savoir si la justice marocaine peut faire valoir des moyens éthiques pour, sinon encadrer la profession, du moins l’orienter dans ce qui fait la vraie nature du journalisme : les faits, rein que les faits mais tous les faits.
Il n’est pas utile ici d’énumérer les sanctions prévues en cas de diffamation prouvée ou de dol prémédité. La question essentielle à se poser est de savoir dans quelle mesure le code de la presse, tel qu’il a été amendé, répond aux exigences de modernité, de démocratie et de citoyenneté inhérentes à la phase actuelle de la vie nationale sachant, bien entendu, que cette vie nationale s’insère dans un environnement mondial de plus en plus réticent aux débordements les plus divers.
La profession sans concessions
Le journalisme marocain est connu pour être revendicatif. Or, toute revendication a forcément la vue cadrée. Elle est coincée dans les limites propres (objectives et subjectives) liées à l’état d’âme qui dicte le comportement revendicatif. La société marocaine, étant perdue dans la multiplicité des opportunités qui s’imposent à elle, s’abreuve d’une offre journalistique elle-même en positionnement permanent et instable. D’où les écarts qui, parce que revêtant ce caractère conflictuel de choix non intégrés définitivement, se mettent en conflit avec la loi, l’éthique et, parfois, le simple bon sens. On comprend que le législateur, agissant sous la pression de ces écarts, ait opté pour une réforme qui peut sembler, a priori, plus restrictive et, surtout, ayant forcé la dose de l’approche punitive dans l’encadrement de l’exercice journalistique.
Dans les faits, cependant, hormis cette latitude qui a été donnée au pouvoir judiciaire d’apprécier la diffamation contre une catégorie de responsables étrangers (les Chefs d’Etat notamment) et l’intégration de l’incrimination de ce qu’il a été qualifié d’atteinte aux valeurs religieuses, le nouveau Code de la presse n’est pas ce spectre qui va s’abattre sur les journalistes à tout venant. La loi sur la presse n’est ni pire ni meilleure que ce que prévoit déjà le Code pénal. Il faut simplement placer la norme dans sa dimension structurelle, à savoir le traitement de l’infraction dans sa mesure intrinsèque. Ni plus ni moins. Un journaliste respectueux de la vie privée des gens, de l’éthique professionnelle et des règles du professionnalisme vaincra toutes les tentatives d’intimidation, d’usurpation ou de pression que l’on voudrait lui opposer dans l’exercice normal de son métier.
Il est bien clair, en effet, que le journaliste, le vrai, est celui qui ne courbe pas l’échine face à la tentation ou à la facilité. Ce journaliste n’est pas concerné par les à-côtés répressifs de la loi. Il peut arriver, pour des raisons diverses, que le journaliste marocain d’aujourd’hui soit confronté à la loi nouvelle sur la presse. Mais il est tout aussi entendu que la justice ne part pas, dans le principe fondateur de l’Etat de Droit évidemment, en croisade contre le journalisme. La justice dit simplement le droit dans les différends dont elle est saisie. Ce n’est pas la réforme du Code de la presse qui doit faire peur. Ce sont plutôt les enjeux liés à la réforme en elle-même. Si l’objectif est de saper les fondements qui font le courage journalistique, ce que l’on a vécu sous l’ancien régime juridique, le Code de la presse en lui-même ne peut être qu’un alibi de bonne conscience.
Gageons donc que la nouvelle loi sur la presse, dans sa timidité a élever la profession au standard d’un véritable contre pouvoir, soit le garant de la liberté responsable et de l’éthique offensive. Il faut néanmoins affirmer qu’il reste, dans l’absolu normatif, que c’est au corps de métier journalistique de démontrer que la loi est simplement la loi, et que le vrai journalisme est celui qui ne prête pas le flanc à ses fossoyeurs, réels ou potentiels.