Gouvernance,  crises de l’Etat  et pratiques démocratiques

A l’évidence, la problématique de la gouvernance, de l’administration publique et de la gestion du bien être collectif communautaire concerne, fondamentalement, la relation de l’Etat à la société globale en termes de gestion, de participation et de prise de décision.

Dans ces trois postulats (gestion, participation et décision), les dimensions de rationalité, d’efficience et de confiance s’interactivent pour finalement conclure à la nécessité de repenser toute la trame relationnelle, qui a dominé jusqu’à aujourd’hui l’Etat, dans et à travers son corps actif, l’Administration, et la société globale, dans ses différentes manifestations et modes de communication.

Ainsi, de bout en bout de la chaîne discursive qui a animé les débats de ce colloque, il est apparu adéquat de poser cette relation dans une logique de réformes, donc de refonte d’approches, d’évaluation permanente des processus décisionnels et, surtout, des méthodes de travail et de circulation des flux d’informations de et vers la société, entendre les communautés nationales. 

Tout cela, sous la férule de ce qu’il est aujourd’hui convenu de nommer ‘’gouvernance’’.

Le mot est donc dit : ‘’Gouvernance’’ !

Le long des exposés et des débats qui les ont sanctionnés, la définition du propre de la gouvernance a été posée. Dans des termes confus parfois, en adversité sémantique la plupart du temps.

Alors, comment peut-on sortir de cette difficulté d’appréhension ? 

La gouvernance ? Est-ce un concept rationnel, c’est-à-dire objectif et porteur en soi ?

Ne serait-ce une terminologie charriant bien de passion et une multiplicité de réactions contradictoires ? 

Ou ce peut être un rendu d’une nouvelle hégémonie, voire d’une idéologie divinisant le capital et la grande finance ? 

Ne serait-elle pas, en définitive, un autre bagage du capitalisme conquérant porté dans les valises, les balises de la mondialisation ?

En tout état de cause, la gouvernance, cela est tautologique, est inflationniste, autant dans sa portée sémantique qu’à travers les utilisations qui en sont faites. Et plus encore lorsque gouvernance et décisions publiques sont mises en opposition ! 

N’est-ce pas là une belle configuration stylistique de la difficulté à vraiment cerner, dans  son essence et sa portée, le vocable ‘’gouvernance’’, tant il draine une conflictualité multiple et à horizons fluctuants.

Pour synthétiser à l’extrême, il semble que, a priori en tous les cas, que la thématique générique de ce 8è colloque international peut être approché en trois temps :

  •    Le premier temps concerne    ce que l’on peut qualifier de mise en équation de l’Etat (dans    sa crise de crédibilité et de perte de souveraineté au profit de    contre-pouvoirs diffus). Cette crise est lue dans sa matérialité    physique, en l’occurrence l’Administration publique (au sens    large de l’acception) ;

  •    Le deuxième temps touche    la volonté de transcender cette crise en termes de ‘’bonne    gouvernance’’. Celle-ci n’est envisageable, dans cette    métaphore sémantique, que dans le cadre d’un processus qui fait    de la participation citoyenne le levier indépassable de tout    processus de prise de décision.    

  •    Le troisième temps, que    l’on retrouve de part en part dans la maîtrise des deux    précédents, met en relief la manière dont le Marocain, celui    présent au colloque il va sans dire, perçoit l’Etat et    l’Administration qui constituent son univers matériel présent.


I/ L’Etat en crise ou crises de l’Etat ?

Cette interrogation n’est pas d’ordre méthodique. Elle est au fond de la perception qu’a l’observateur critique de son environnement étatique global.

L’interpellation a ici valeur d’usage. Car elle en appelle à la satisfaction d’une demande en perpétuelle insatisfaction. Déjà au contact de l’individu/citoyen au fil de l’agencement de sa vie de tous les jours : Dans la rue, à partir du salaire distribué apparemment sans contre-partie réellement productive, dans la gestion de l’environnement territorial local, régional et national.

Partout et en tous actes, il semble que l’Etat ait perdu les leviers de contrôle efficient de ce qui faisait son autorité : pourvoyeur de bien être social, répartiteur de la richesse, employeur par excellence et protecteur face à la maladie et aux catastrophes de la nature…

La crise de l’Etat est, par conséquent, une crise de gouvernance, une crise de bonne gouvernance. Dans ce constat, il est clair que l’entendement général a conclu au fait que, dans ‘’gouvernance’’, il est une dose fondamentale de gestion efficiente de tous les espaces de citoyenneté. En cela, l’Etat est aujourd’hui devant le pari de la performance. Celle-ci ne peut être à l’ordre du jour que si offre globale de services et qualité de ceux-ci répondent à une demande, certes déjà exprimée, mais surtout formulée dans sa dimension prospective.

Un Etat qui gère le quotidien est condamné à la mort lente. Que faire ? N’es-ce pas là remise en cause patente des réalités étatiques contemporaines, au Nord comme au Sud !

Frôlant le cynisme, les ‘’experts’’ signifient à cet Etat en perte de souveraineté que sa survie dépend de sa manière de fonctionner, en aval et en amont. La feuille de route, dira-t-on, indiquera le bonne traversée pour une meilleure visibilité des champs de la bonne gouvernance ! Mais alors, cette route, si, par moments, est obstruée par des contre-temps imprévisibles, en termes de projets contractuels réalisables à terme, d’objectifs et de résultats globaux et probants sans déperditions, dans l’immédiat avant les surlendemains prometteurs, que faire encore ?

Ce questionnement n’est pas le fruit d’un Hasard thématique. Ce questionnement est concomitant à cette préséance de vouloir tout, partout et maintenant.

En fait, dans les gémonies harcelant l’Etat, c’est son corps administratif qui est décrié, malmené, parce que supposé résistant à l’innovation, à la participation démocratique à la prise de décisions engageant le devenir de la Communauté.

Lente, pléthore et ‘’goguenarde’’, l’Administration serait en contre-performance des indicateurs clefs de la bonne gouvernance. Aussi, est-elle appelée à s’émanciper des réflexes routiniers, conservateurs, pour se mettre à l’heure de l’informatique, véhiculant communication planétaire et technologie défiant toutes les épreuves… On appelle cela les NTIC (pour le sens commun) les TIC (pour les Nations Unies et autres organismes internationaux prêchant la gouvernance à rompre le fil du temps).

1ère conclusion :

L’Etat, dans son administration, doit se dépoussiérer, rechercher la qualité, mettre sienne la compétence, valoriser le capital humain et, surtout, être à l’écoute de la participation citoyenne dans tout processus décisionnel concernant la société.


II/ Gouvernance et Démocratie

En partant du postulat-compromis supposant que, dans la gouvernance, il existe un fond de perception et de gestion rationnel de tous les process de la vie communautaire (législation, gouvernement - au sens de direction -, production, contrôle de gestion, services et prestations compétitifs), une question insistance est formulée et reformulée, presque avec violence : Peut-on appréhender le gouvernement des hommes et des territoires, en termes de gouvernance dans un espace/temps exempt de démocratie ?

La réponse, évidente, première, voire primaire serait ‘’NON’’ ! Est-ce rationnel ? Est-il de bonne intelligence de poser la question en des termes si directs et si absolus, parce qu’invoquant détermination existentielle devant l’éternel ? Car, ne pense-t-on pas la participation démocratique en des termes qui prônent la cession par l’Etat de larges espaces de son autorité, au moment même où la demande de plus d’Etat (au Maroc, par exemple, comme ailleurs dans le monde, qu’il soit développé ou pas) est présente, pressante, voire pathétique !

Cogito inconscient ou mal être communautaire en imperfection de matérialité ?

Car, la liberté, la responsabilité, le respect de l’autre et des valeurs de la démocratie, tout cela n’est-il pas pensé dans une dialectique légaliste.

Avouons-le donc, dans la modestie qu’impose la rationalité intellectuelle : Invoquer la bonne application de la loi n’implique t il pas, dans son essence comme dans sa portée emblématique, une quête irrationnelle de l’autorité impersonnelle, celle-ci n’ayant force d’exécution qu’au travers de flux éraflant la démocratie populaire.

Qu’est-ce à dire ?

La simplicité des mots rendent à la loi sa préséance sociale, voire sociologique. L’Etat, dans la confusion des genres qui fait sa crise, reste un outil de régulation indépassable, même et surtout lorsque la société (entendre la société civile) prend le relais dans des domaines censés être gérés par la décision publique. Et, sans faire attention, lorsque l’on prône la suprématie de la loi, à notre insu, l’Etat transvase la liberté citoyenne. La loi est du domaine public. Et partout dans le monde, la loi, bien ou mal formulée, est au service de la force. Celle-ci sert autant l’économique que le politique, jamais la citoyenneté passive.

Comment transcender ce dilemme ? En forçant l’imagination, bien sur. Comment encore ? Apparemment, en puisant dans la quotidienneté citoyenne la quête du bien être social, au-delà des clivages Etat/société. Dans la qualité, exigée de l’un et de l’autre et favorisant la bonne décision. Que cette décision soit publique ou privée, sachant par ailleurs que la gouvernance est le lieu commun d’actions plurielles (institutionnelles et extra-institutionnelles) publiques et civiles.

La gouvernance, bonne ou mauvaise, est tributaire du penser collectif de la société : Etat, individus, groupes et collectivité confondus. Car, en filigrane, la demande sociale est supposée ne pas être noyée dans les détails des processus multiples, de la conception a la prise de décision. En revanche, la demande sociale est attentive au résultat jaillissant des entrailles de ces processus. Elle y adhère s’ils s’insèrent dans le moule de la qualité, celle-ci étant tributaire du mode de gestion des affaires de la Communauté. En cela, une société qui s’implique dans la gestion de son bien être collectif, dans la responsabilité plutôt que dans l’expectative critique, devient partenaire plus que destinataire.


2è conclusion :

La quête de la qualité ne peut plus être considérée comme un phénomène subsidiaire. La qualité est à la base de la bonne gouvernance dans trois sphères de mise en expérimentation :

  1. A l’échelle    institutionnelle d’abord, où la compétence est source    d’efficience et d’économie de temps et d’énergie.    
  2.    Au niveau local et régional    ensuite car, de la performance dépend la nature du service offert.    

  3.    A l’échelle nationale    enfin, les réalités sociales dominantes dépendant de la manière    dont les uns et les autres membres de la Communauté perçoivent et    mettent en valeur, leur mode de vie et la mobilisation apte à    maintenir le cap de l’essor et du progrès.    


Ces trois sphères, cela est l’évidence, ne sont viables que dans un environnement ou corruption, trafic d influence, abus de pouvoir et impunité sont, sinon totalement bannis, du moins mis opérationnellement au ban de la société et sanctionnés par la loi.


III/ Le Marocain face à l’État

Un ton fort, diffus en fait dans la trame globale des débats ayant accompagné la réflexion engagée lors de ce 8è colloque international. Ce ton concerne la perception qu’a le Marocain de l’Etat qui cerne sa vie, d’une part, et de l’Administration qui objective les actes étatiques, d’autre part.

La pensée, dominante et inique, celle racolée dans l’urgence, est ici quasi-consensuelle : l’Etat national a perdu et perd beaucoup de temps dans l’aléatoire. Il gère les fluctuations et apportent des solutions en mal de destinataires satisfaits. Et, dans sa recherche des consensus a tout prix,       l Etat perd le sens de la bonne décision

Déjà, dans la sphère qui est originairement la sienne – la prise en charge communautaire -, la société civile prend graduellement mais avec détermination sa place. L’Etat devient presque inutile, à force de cessions incrédules et abandon fonctionnel. D’ailleurs, du haut de sa représentation institutionnelle, la critique sonne comme un mea culpa désintéressé : Ne revendique-t-on pas la réforme de l’Etat dans son administration, qui est appelée, plutôt sommée de changer de mentalité, de changer de réflexes, de bouleverser ses modes de gestion et de prise de décision. En somme, a ‘’regagner une crédibilité’’ perdue!

Ces gémonies, inscrites en perspective d’une gouvernance, bonne et parfaite, ne veulent pas regarder dans le passé. Elles s’inscrivent dans la durée à venir. Elles posent les termes d’un devenir à faire, non pas ceux d’un présent à parfaire. L’Etat, l’Administration, les gouvernants actuels sont en déphasage du temps de la performance. Accéder à celle-ci exige donc d’abord bilan et évaluation. Ceux-ci sont clairvoyants, du moins dans les schèmes annoncés aujourd’hui, dans le cadre de cette réflexion.

Car, on l’aura tous compris, les pesanteurs de la bureaucratie traditionnelle tuent la vie (toujours en formulation) démocratique. Forger un nouvel esprit d’entreprise au sein de l’Etat et ses ramifications, dans la souplesse de la gestion prévisionnelle, en termes de coûts, d’effets directs et d’impact social : voilà le défi majeur qui draine l’espérance.

Dans la gouvernance, la bonne gouvernance, le devenir de l’Etat, c’est à dire la nation, est réductible à la participation de la Communauté à la prise en charge de son présent et, forcément, son devenir.

Ce devenir - les participants à ce 8è colloque international l’auront intériorisé - commence par la responsabilisation à l’échelle locale, réaffirmée dans la sphère régionale et systématisée à l’échelle de toute la nation.

Conclusion ultime :

Est-ce là rêves lucides, imagination bienveillante ou défis des temps actuels ...


Najib BENSBIA, Rapport de synthèse du colloque : ''Gouvernance,  crises de l’Etat  et pratiques démocratiques,'' 13/04/2004

CE SITE A ÉTÉ CONSTRUIT EN UTILISANT