Il y a comme une sorte de malédiction qui poursuit la zone nord du Royaume. Désœuvré par la nature, le Nord du Maroc a subi la fourche stérile du politique et desservie par l’Histoire. Pourtant, les populations de cette région ont milité pour garder intactes leur identité culturelle et leur liberté. Plus de cinquante ans après l’indépendance, le Nord reste non seulement l’une des parties les moins intégrées au Maroc en développement. Pis, il fait aujourd’hui le lit de la violence, de la plus profane à celle aveugle et horrifiante...
Le Rif invoque bien de péripéties conflictuelles dans l’histoire culturelle et politique contemporaine du Royaume. Depuis longtemps déjà, cette région paraissait s’inscrire à contre-courant de l’itinéraire pris par le Maroc intérieur. N’a-t-il pas servi d’embryon à une république défiant l’Espagne coloniale ! D’où bien d’incompréhension et de malentendus qui ont meublé les relations de l’appareil d’Etat aux populations nordistes. Car, cela est codifié, sur le plan politique, cette région a, des décennies durant, fait montre de sa réticence à adhérer automatiquement au style de gouvernement se consolidant à Rabat.
Une question de vision stratégique
La région du Nord pose un vrai problème d’entendement à l’observateur de la vie et de la gestion infrastructurelle marocaines. Car, de Sebta au dernier terroir liant cette aire géographique au reste du territoire national, la négligence, l’indifférence et , à la limite, l’arrogance semblent être l’approche à travers laquelle le décideur (privé et public par ailleurs) regarde l’investissement dans cette zone. Si l’on exclut le bâtiment et la cafétéria qui servent de moyens de blanchiment de l’argent de la drogue et de la grande contrebande, il n’est aucune politique de développement orienté sur le Nord. Le cas du tourisme est le plus criard.
En effet, les plages du Nord s’étalent à perte de vue. Pourtant, la plupart de celles-ci vivent une situation de no man’s land ! Incroyable pour un pays qui a fait du tourisme la deuxième composante de ses recettes extérieures…
Si le Nord est défavorisé par ses caractéristiques géographiques, sa richesse naturelle susceptible de profiter à la région, et par conséquent à toute l’économie nationale, demeure la mer. Certes, d’autres facteurs peuvent être mis à contribution pour faire relever la tête à cette région. Il reste cependant que la gestion publique du devenir de cette partie du Royaume a manqué de vision, d’imagination et, surtout, de clairvoyance productive, pour ne pas dire de simple volonté politique. Pourtant, pléthore sont les discours qui ont chanté le développement des régions du Nord ! Que de lifting n’a-t-on servi à la communication politique faisant du Rif un objectif de développement de substitution intégré ! Et cette fameuse Agence de développement du Nord, une parfaite hérésie institutionnelle.
En fait, la seule vision qui devait servir le Nord devait - devrait- être celle qui retrousse les manches de la réalité et réactive les méninges de l’imagination utile. Le Rif n’est pas plus démuni que d’autres régions du monde à données géomorphologiques similaires. Une volonté politique sans tintements, le sérieux dans les choix et les orientations, une visibilité sans faille quant aux objectifs socio-économiques attendus, tels sont les choix fondamentaux d’une politique publique de désenclavement du Nord et de son intégration au processus global de développement du pays et de la nation.
Le tremblement de terre qui a frappé la région d’Al Hoceima a reposé, en termes crus et durs, la réalité infernale que vit éternellement une partie du Royaume en abandon quasi-total. Il a fallu que le roi se déplace en personne pour que l’on ‘’bouge’’, et encore pas encore dans le bon sens. Confucius semble ne pas servir au maroc. Il ne s’agit pas d’ordonner charité et main tendue, mais de repartir à zéro à partir d’une véritable politique publique qui appréhende le pays comme étant est un et indivisible. En cela, tout le Royaume doit jouir de la même gouvernance efficiente. Il suffit, pour cela, de relire simplement l’histoire proche du Maroc des années vingt/cinquante du 20è siècle.
Le Rif de nos rêves
Qui ne se rappelle au souvenir d’un Ben Abdelkrim El Khattabi, dont l’action et la vision demeurent un sujet d’analyse et de réflexion pour les politologues occidentaux ! La République du Rif a fait rêver bien de révolutionnaires nationaux, au moment où, partout dans le Tiers-monde, il était encore difficile de distinguer l’état de nature des soubresauts libérateurs, presque naïfs, qui faisaient bouger ça et là les guerriers africains et arabes… En d’autres termes, autant le Rif est présent avec force dans l’histoire militante du Maroc en devenir, autant son présent est hypothéqué par une négligence qui, dans nombre de ses manifestations, s’apparente à une politique volontaire et réfléchie.
Il est une évidence, en effet, que parmi les régions la moins loties, en termes de développement socio-économique - voire politique - du Maroc actuel, le Nord est en défaillance stratégique. Déjà que le Rif souffre de sa proximité des enclaves marocaines encore sous domination coloniale espagnole. Tanger, Tétouan et toute la zone marocaine sous domination espagnole vit par/grâce à la contrebande et aux produits ravitaillé de Sebta et Mellilia. Par ailleurs, le tourisme, qui constitue l’un des apports sociaux clefs de la région, ne profite qu’à une caste de fortunés qui ont fait des côtes nordiques une propriété privée à élans exclusifs. Le petit commerce, d’essence contrebandière, n’est vraiment pas utile à l’économie nationale, il en constitue plutôt un out put critique, pour ne pas dire dépravant.
Ainsi donc, alors que l’histoire militante de cette région devait favoriser son intégration immédiate et active au tissu économique, social et politique du Maroc moderne, le Rif reste à la marge passive d’une gouvernance flottante, ne voyant dans cette région que son ‘’passif’’ politique. Le trafic de drogue, qui demeure le seul nerf viabilisant la région, en équation problématique pendant un moment, reste la seule vraie richesse de la région. D’où la nécessité de réagir vite, pour que le crime organisé ne soit qu’une marginalité normale de la vie en société nordique, et non l’arme principale de survie dans un monde endurci par tant d’inégalités et de violence. Car, comme on le soulignait dans le dossier publié par ‘’La Vérité’’ la semaine dernière, ‘’ ce n’est pas un hasard, que les principaux accusés des attentats de Madrid soient tous originaires de Tanger, la ville synonyme d’enclavement et de déperdition, une ville symbolisant le retard socio-économique de toute une région, le Rif pour bien le nommer. Dans les faits, l’Etat national n’a jamais été présent et vigilant là où il le fallait.
Ainsi, en termes d’aménagement de territoire, le Maroc est plusieurs Maroc, c’est-à-dire une évolution à multiple vitesses. Le Rif, parce que de lui viennent les derniers deux rappels mortels (tremblement et terroristes madrilènes) a été abandonné au sort que lui a réservé la nature. Pourtant, l’Autorité publique sait - savait déjà - que cette région est terriblement infortunée et fait le lit de deux phénomènes criminels : le trafic de drogue et l’activisme islamiste armé.’’
Aussi, faut-il réagir vite et promptement. L’élan de solidarité nationale engagé depuis le tremblement de terre d’Al Hoceima est, certes, un sursaut d’éveil. Mais l’assistance n’a jamais été une bonne politique d’Etat. Le gouvernement, du haut au bas de l’échelle, doit savoir que sans une politique volontariste qui prend en charge le développement intégrée de la région, le Nord explosera à la figure du Maroc moderne.
Najib BENSBIA, 11/05/2004