Durant les années soixante dix/quatre vingt dix du siècle passé, le Maroc n’en finissait pas de changer de gouvernement. Avec l’arrivée de M. Abderrahman Youssoufi, le Maroc en était à son 27è gouvernement en 38 ans. Depuis 1998, l’Etat marocain a embrassé trois gouvernements (2 sous l’alternance et celui de M. Jettou). Alors que ce dernier n’a pas encore entamé sa première année et demi d’exercice, la rumeur de son départ est dans l’air du temps ! L’Italie peut dormir tranquille…
Dans les États à tradition démocratique, les changements de gouvernement sont liés soit à des élections générales normales, après fin de mandat, soit à une crise aiguë qui, en conséquence, donne lieu à de nouvelles élections et à un nouveau gouvernement, lui-même dégagé à partir d’une nouvelle majorité.
Les changements d’humeur
Sans refaire l’histoire politique du Maroc, il est patent de conclure que les remaniements ministériels et les changements de gouvernement marocain n’obéissent pas, de manière générale, à une logique politique évidente. Car, comme le Marocain a eu l’habitude de le vivre, selon les humeurs du Chef de l’Etat et, très rarement, en sconséquences d’élections législatives, les gouvernements marocains ont défilé suivant une rythmique qui procède d’une volonté unique, celle du roi.
C’était en tous les cas la coutume sous le règne du roi Hassan II qui, globalement, a changé les gouvernements suivant un calendrier propre, celui de l’insatisfaction permanente, elle-même apparemment liée à la rumeur publique qui, par un effet boomerang, allait de la rue et revenait vers elle pour mieux sonder la prédisposition à cet usage faiseur et ‘’défaiseur’’ de gouvernements à l’envi.
Aujourd’hui, alors que l’on pensait épouser une pratique saine, celle voulant qu’un gouvernement aille à terme de son mandat, à moins de graves dérégulations qui imposent un changement dans les normes, le Maroc retrouve sa verve coutumière, celle de changer un gouvernement pour simplement le changer, sachant pertinemment que, vue la configuration partisane de la majorité actuelle, tout remaniement, aussi minime soit-il, devrait tenir-compte de cette donne. Avec sept (7) partis, il ne peut y avoir de miracle ! La comptabilité à sa logique que seule la dérision des alliances peut expliquer.
Pourquoi donc un nouveau changement, ou un énième remaniement puisque, de toutes les façons, tout renouveau produira les mêmes effets : une déperdition d’énergies, une combinaison de l’impossible et l’inefficacité due à la pléthore des partenaires viables ? Autrement-dit, le changement attendu, prospecté, humé ne peut, quelles qu’en soient les motivations, faire fi des alliances susceptibles d’assurer une assise parlementaire à l’équipe gouvernementale à venir.
Certes, avec le baroud de la transhumance partisane dans les deux chambres, la configuration majoritaire de départ (celle de 2002) a bien changé. Mais il demeure un fait têtu que, pour avoir un gouvernement viable, il faut plus que trois partis, comme c’est l’usage dans les démocraties parlementaires aguerries.
L’esprit et la lettre constitutionnels
Sur un plan purement constitutionnel, cependant, il faudra bien constater que les changements de gouvernement se sont toujours effectués dans le respect formel de la constitution marocaine. Il n’est, en effet, d’autre formalisme que celui consenti par l’article 24 de la constitution marocaine. Cet article donne autorité et latitude au roi de procéder aux changements de gouvernements à chaque fois qu’il le désire.
Dans la lettre constitutionnelle (constitution de 1996), le roi ‘’nomme le Premier ministre. Sur proposition du Premier ministre, Il nomme les autres membres du Gouvernement, Il peut mettre fin à leurs fonctions. Il met fin aux fonctions du Gouvernement, soit à Son initiative, soit du fait de la démission du Gouvernement’’. Il ressort de ces dispositions qu’il n’y a pas d’obligations rigides qui ordonnancent la factualité gouvernementale. Par ailleurs, le dernier alinéa de cet article 24 laisse au roi la pleine initiative de changer de gouvernements à l’infini.
En fait, la question des changements gouvernementaux au Maroc ne doit pas être posée en termes de constitutionnalité. La vraie question est celle de savoir pourquoi procéder à un changement, en vue de quels objectifs et en conséquence de quels événements cela est-il envisageable. Dans le cas du gouvernement Jettou, hormis le fait que, si la logique des résultats des législatives de septembre 2002 avaient été respectée, il aurait été plus adéquat de nommer un Premier ministre politique, celui émanant de l’USFP notamment et en son temps. Or, les choses étant ce qu’elles sont, la seule ligne conductrice du changement attendu, prospecté, humé est de revenir à la nature politique de la démocratie parlementaire, en nommant un nouveau Premier ministre partisan.
Est-ce possible aujourd’hui, avec tous les bouleversements que connaissent les arcanes parlementaires nationales et, par ailleurs, la conjoncture internationale plus qu’explosive dominante aujourd’hui ?
Najib BENSBIA, 01/06/2002