L'Etat marocain semble être prêt à reconnaître ses torts dans ce qui fut les années de plomb. Une instance dite ''Équité et Réconciliation'' est chargée de gérer cette responsabilité. Dans quels termes et pour quelle finalité ? La réponse est aujourd’hui limpide, du moins au plan institutionnel : la responsabilité publique se fera dans le pardon et l'oubli.
La recommandation portant création de l'instance ''Équité et Réconciliation" fixe les frontières irréfragables au-delà desquelles il ne peut y avoir de débat et moins encore de remise en cause. En effet, le point 10 de cette recommandation du Conseil Consultatif des droits de l’Homme précise que « l’action de l’instance (Equité et Réconciliation) s’inscrit dans le cadre du règlement extrajudiciaire en cours visant le règlement du dossier des violations passées des droits de l’Homme. L’instance ne peut, en aucun cas, invoquer les responsabilités individuelles, quelles qu’elles soient. Elle veillera à ne prendre aucune initiative de nature à susciter la désunion ou la rancœur ou semer la discorde ». Donc, si responsabilité il y a, elle ne peut être que collective, c’est-à-dire de l’Etat-Léviathan.
Le pardon plutôt que l'oubli
Cette recommandation du Conseil Consultatif des droits de l’Homme est importante pour l’approche de l’Etat marocain dans sa volonté de tourner une page sombre du passé récent. En effet, le point 10 cité précédemment est fondamental. Il permet de faire la lecture clairvoyante de la manière solennelle devant assurer le règlement définitif d’un passé qui habite encore le corps social et politique marocain. Toute quête de la responsabilité pénale de ceux qui ont fauté hier sera hors jeu, puisque l’instance ‘’Equité et Réconciliation’’ ne pourra, en aucun cas, invoquer la responsabilité individuelle de quiconque dans le processus de règlement dont est chargée cette instance.
Dans ce cadre général, la lecture de l’équité et de la réconciliation ne peut se faire qu’en tenant compte de deux donnés fondamentaux et indépassables. Le premier donné est relatif à la détermination de la responsabilité. Celle-ci, en ce qui concerne les violations passées des droits humains des Marocains, est à traiter comme étant celle de l’Etat et non d’individus repérés dans leurs statuts respectifs. Le deuxième donné fondamental est inhérent à la reconnaissance par l’Etat de cette responsabilité institutionnelle collective, qui aura pour corollaire « l’intégration sociale des victimes, leur réhabilitation et réadaptation psychologique et médicale ainsi que leur réintégration professionnelle », conformément au point 6 de la recommandation ayant institué l’instance ‘’Equité et Réconciliation’’.
Ainsi, du point de vue où se place la recommandation du CCDH, il est clair que le règlement de cette question est en train de se faire dans le prolongement constitutionnel, institutionnel, politique et normatif de l’Etat marocain d’hier. Tout se qui se fait aujourd’hui est entrepris dans la continuité du système politique global construit sur et à partir du passé immédiat national, y compris celui que l’on veut reléguer aux tristes pages de l’Histoire marocaine.
Pour comprendre la philosophie qui a présidé à la conception de l’instance même ‘’Equité et Réconciliation’’, il faut replacer tout ce processus dans sa trame générique. Depuis la mort de roi Hassan II en effet, les Marocains cherchent à voir plus clair dans leur passé immédiat, celui des années cinquante/soixante dix du 20è siècle.
L’instance ‘’Equité et Réconciliation’’ est confrontée à cette quête/peur. A elle de trouver la règle éthique de tourner la page sombre du passé, sans pour autant tourner le dos à la mémoire de ceux qui en ont été les grandes victimes. Car, on l’oublie aisément, C’est tout le Maroc qui a souffert de ce passé que l’on voudrait définitivement enterrer.
Najib BENSBIA, 17/02/2004