30 Apr
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La polémique est par essence sujette à de multiples connotations. Et, généralement, une polémique porte en elle-même les ingrédients de son propre leurre. La question de la saisie, sur la base d’une décision de justice, des biens de l’État et des collectivités locales en est la parfaite illustration. Elle prêche par ignorance en tous points de vue.

L’article 8 bis du Projet de loi de Finances 2017 -avant son amendement et son vote parlementaire) a suscité un tollé polémique, qui est resté perché à la première lecture aussi bien constitutionnelle que normative. Or, on devrait le savoir, si la première lecture, de surface, primaire en fin de compte, était suffisante pour dire le Droit, bien de problématiques socio-économiques et politiques n’auraient eu aucune existence, aussi anodine soit-elle.


Le général et le particulier

La constitution énonce des principes généraux, des règles fondamentales et une hiérarchie des normes. Ce faisant, elle articule l’organisation des pouvoirs de l’État, les rapports de celui-ci aux citoyens et, dans la foulée, le système global qui harmonise la vie institutionnelle, publique et civile dans l’État.

Ainsi en est-il du pouvoir judiciaire. Dans le cas de la polémique qui a animé le champ médiatique national et alimente encore la ferveur des réseaux sociaux, il est supposé que les décisions de justice s’appliquent également et indifféremment à l’État (entendre toutes les institutions publiques et, en particulier, les Collectivités locale). Cela est évident dira-t-on, mais voyons ce que dit la constitution à ce propos.

Un seul article, un et un seul, énonce le principe général relatif aux décisions de justice. En effet, l’article 126 énonce que les ‘’jugements définitifs s’imposent à tous. Les autorités publiques doivent apporter l’assistance nécessaire lorsque celle-ci est requise pendant le procès. Elles sont également tenues de prêter assistance à l’exécution des jugements. Ni plus ni moins.

Est-ce que cela veut dire qu’une décision de justice applicable à l’Etat devrait être exécutée dans les mêmes formes et selon la même procédure que pour les personnes physiques et morales (entreprises et citoyens) ? Bien évidemment que NON. Il s’agit d’un énoncé général et, comme tel, c’est à la loi d’en préciser le formalisme de mise en œuvre mais, surtout, les moyens de sa mise en application.

De manière générale, la Constitution reste le repère fondamental au-dessus duquel aucune norme n’interférerait. Mais, justement, comme il s’agit de la loi fondamentale, elle a besoin de textes législatifs sectoriels pour formaliser sa promptitude sur le plan institutionnel, économique, civil et social.

Dans le cas de la saisie des biens de l’État et des collectivités locales, sur la base d’une décision de justice, la constitution ne règle aucun problème. Elle dit tout simplement que les ‘’décisions de justice s’imposent à tous’’. Elle n’énumère ni les moyens ni le formalisme pour ce faire. C’est la loi qui intervient pour réglementer le champ d’application de l’article 126 de la constitution, le cas du Code de procédure civile dans la matière qui nous intéresse. Or, la hiérarchie des normes, qui signifie l’ordre de priorité normative, est claire : une loi est similaire à une autre loi. En cas de conflit, la loi qui précède a force probante. Et tant qu’aucune abrogation ne vient mettre fin à l’application d’une loi précédente, celle-ci demeure en  vigueur et a la force probante d’applicabilité.


Inaliénabilité des biens publics

Dans le cas des pouvoirs de l’État, il y a, là aussi, un principe général de droit administratif qui présuppose à la force exorbitante (au-dessus du reste) de l’Etat, qui a le monopole légitime de la coercition, c’est-à-dire l’emploi de la force en tous lieux et dans tous les cas. Cela est une règle élémentaire de Droit public. Par ailleurs, et ceci est plus important dans le cas de la saisie des biens et fonds de l’État, la loi a été claire en l’espèce: le domaine public est imprescriptible et inaliénable. Comme cela ?

La polémique suscitée par l’article 8 bis du Projet de loi de Finances 2017, portant interdiction de saisir les biens et fonds de l’État et des collectivités locales, vient de l’ignorance manifeste de la loi.

Il aurait fallu, en effet, interroger l’arsenal normatif marocain pour savoir en quoi l’insaisissabilité des biens et des fonds de l’État et des collectivités locales, contenue dans ledit article 8 bis, est conforme ou non à la loi. Pour ce faire, il aurait fallu lire et interpeller l’article 4 du dahir portant loi du 1er juillet 1914 qui dit clairement que le ‘’domaine public est inaliénable et imprescriptible’’. En ce qui concerne les collectivités locales, il aurait fallu, là également, être savoir que la loi, en l’occurrence l’article 3 du dahir portant loi du 19 octobre 1921, dit expressément que les ‘’biens du domaine public municipal sont inaliénables et imprescriptibles’’. Ce même  caractère imprescriptible et inaliénable est institué pour les communes en vertu de l’article 8 du dahir portant loi du 28 juin 1954 (1).

Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que nul ne peut aliéner, donc prendre possession de quelque manière que ce soit, les biens de l’État et des collectivités locales par le fait, justement, que ces biens ne relèvent pas du patrimoine privé mais public assurant et garantissant le fonctionnement normal des institutions. La jurisprudence marocaine a étendu ce caractère imprescriptible et inaliénable aux entreprises publiques en ce qui concerne les biens qui en assurent et garantissent le fonctionnement et la viabilité.

Les trois dahirs énoncent, dans la lettre et l’esprit, des règles de caractère général et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet de limite que par la loi. Or, dans le cas d’espèce, aucune autre loi n’est venue abroger ou limiter l’applicabilité de ces lois qui restent toujours en vigueur. D’où la pertinence normative de l’article 8 bis du PLF 2017.

D’aucuns pourraient dire que la notion de  »Biens» n’est pas expansive aux fonds (finances) de l’État et des collectivités. Cela est pure spéculation, la notion de  »biens» est ici générale, donc expansive et enjoint tout ce qui constitue le patrimoine public.


L’État ne peut se contraindre lui-même

Par ailleurs, en termes de procédure, comment peut-on envisager que l’Administration, qui détient le monopole de la coercition (donc de la force publique) comme souligné précédemment, veille – donc volontairement – mettre en œuvre contre elle-même la force publique dont elle a seule le monopole ?

En tout état de cause, l’article 8 bis sujet à polémique puise sa force et sa justification des ces textes précurseurs dans le cas de l’inviolabilité des biens de l’État. Il aurait peut-être fallu que le législateur marocain agissant en 2017 fasse directement et expressément référence à ces textes normatifs. Ce qui n’a pas été fait, soit par ignorance, soit par excès de confiance.

Il est donc non seulement hasardeux, mais outrageusement cavalier de dire que l’article 8 bis est inconstitutionnel ou hors la loi. Cela est faux dans l’absolu. Le débat à engager est celui devant poser la question de la saisie des biens privés de l’État et des collectivités locales, en ce sens que ce patrimoine est géré en vertu du droit commercial. Et en cela, il serait sujet à saisie par voie judiciaire bien entendu. Encore faut-il apporter la preuve qu’il s’agit bien d’un patrimoine privé, mais cela est un autre débat.

Pour conclure, il serait plus judicieux d’interroger l’arsenal normatif national et la jurisprudence à laquelle il a donné lieu, avant de se lancer dans des généralités imprécises, prêchant par ignorance normative certaine et, surtout, ne pas faire dire à la constitution ce qu’elle ne prévoit pas expressément.

Or, bien que droit et en référence à toute la jurisprudence internationale, le gouvernement marocain s'est dessaisi de ce droit qui érige les biens publics en biens imprescriptibles et inaliénables. Il a tout simplement retiré ce projet de la mouture finale de la loi de finances 2017 votée par le parlement !

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Najib BENSBIA, In nabarate.com

(*) BO n°89 du 10 juillet 1914, p.529, B.O n°470 du 25 octobre 1921, p.1660 et B.O n°2117 du 16 juillet 1954, p.1006

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