Fallait-il que l’on explose pour se rendre compte du laxisme qui a dominé les relations Etat/société globale ? Il faut croire que oui, tant les pouvoirs publics sont bouleversés. A malheur bonnes décisions : le crime n’est plus toléré, le laisser aller semble devenir une faute grave et le je-m’en-foutisme public est relégué au mal souvenir. Tant mieux, la modernité n’est point synonyme d’alibis fourre-tout ! la démocratie n’est pas et ne peut aboutir à la passivité face à ce qui gangrène les relations de gouvernance.
Fini le temps des amours incestueux! on voudrait le croire, tant sécurité et liberté responsable n’ont pas su s’accoupler dans ce bon pays qui est le nôtre. Hier encore, avec l’avènement des droits humains sur la terre marocaine, respect de la citoyenneté et interdiction de la bastonnade à tout venant ont été lus par certains services comme une négation de leur autorité. Pourtant, en matière de droits de l’Homme, le crime reste un crime répréhensible et punissable par la force de la loi. On a voulu faire croire que la recrudescence de la criminalité et de la délinquance était concomitante à l’instauration des valeurs et principes exigeant de l’Etat le respect de la citoyenneté éclairée et alerte. En fait, l’autorité de répression était habituée à la facilité et aux ‘’dossiers tout faits’’. Avec l’adhésion solennelle du Royaume aux vertus de l’Etat de droit, la sécurité était invitée à devenir ce qu’elle est censée être depuis le début : la sécurité publique tout court, sans grand fard mais sans désenchantement non plus.
Que de malentendus artificiels
Durant les années soixante dix, face à l’opposition nationale et porteuse d’un projet de société démocratique, on a cru bon de faire pousser des nids d’islamistes viscéralement anti-démocratiques. Les socialistes étaient alors taxés d’athées et d’ennemis de la monarchie. On sait aujourd’hui, c’est-à-dire depuis 1998, que ce sont justement ces socialistes qui sont le meilleur rempart de la quiétude de la monarchie. Cela dans les faits et par les actes.
Dans ces années de plomb et de balbutiements politiques, islamisme et pouvoir politique jouaient du concubinage comme on se joue de sa fierté. Les résultats sont aujourd’hui kafkaïens : alors que la constitution est limpide et la loi tout aussi translucide, un parti d’obédience religieuse fait de la politique en prêchant la religion comme support à l’apostat et à l’apologie du crime et de la forfaiture. Cela, dans l’enceinte de ce qui doit être interdit à toute profession religieuse, le parlement. L’on s’étonne après que des Marocaines et des Marocains soient mutilés en pleine rue, leur dignité bafouée à longueur d’avenues et de ruelles et que le voile devienne une sorte de protection salvatrice contre les attaques barbares de barbus sans foi ni loi… Et dire que le processus démocratique, consacré par l’expérience dite de l’alternance, a été bloqué et hypothéqué sur l’autel de la vindicte islamiste et de la cupidité faussement moralisatrice de quelques partis dits nationalistes !
Au moment où l’Etat, c’est-à-dire quand le roi Hassan II a eu le génie d’accoster la barque Maroc au navire de la démocratie universelle et à ses valeurs les plus élémentaires - le respect de l’humanité et de la dignité des citoyens -, des lobbies obscurantistes et de mauvaise foi ont brandi le spectre de la délinquance tous azimuts, pour cause de libertés liberticides de Marocains qui revendiquent leur maturité de gens du monde ! Or, ce qui est arrivé le 16 mai 2003 a démontré que le vrai mal est ailleurs, il est dans l’incapacité, active ou passive, des pouvoirs publics à régir la démocratie et la liberté dans la responsabilité et l’éveil, autrement dit dans la vigilance et la traque des vrais dangers : l’obscurantisme religieux et le fanatisme criminel. La sécurité, au sens policier du terme, en a eu alors pour ses frais. Le roi Mohammed VI a été plus qu’élogieux à cette égard : l’heure de la vérité a sonné, il n’est plus question que la foi, donc la manipulation, soit un alibi de passe-droits. La religion a sa sphère, la politique en a la sienne, les deux ne doivent pas, ne doivent plus se rencontrer, d’autant que l’Islam est religion d’Etat.
Au-delà de la réalité
En définitive, et quelques que soient les commanditaires réels des attentats criminels, barbares et indécents du 16 mai dernier, la Maroc a eu la réaction qu’il fallait, ce qui n’était pas dans l’ordre outrancier des criminels et consorts de ce triste et meurtrier 16 mai 2003, le réflexe salutaire et serein : point de relâchement ou d’abandon du projet de société démocratique pour lequel et dans la perspective duquel bien d’énergies ont été consommées, de martyrs tombés sous les coups de l’aveuglement et de l’entêtement… Ce réflexe, Mohammed VI l’a solennellement réaffirmé : le Maroc sera cet Etat moderne, démocratique et vigilant. Car, il faut se le dire sans relâche : la démocratie est le berceau de l’alerte citoyenne et le rempart sans partage contre toutes les formes de déviation, de manipulation ou de présage de l’apocalypse chanté par ceux qui ne savent pas travailler, ceux qui croient que la facilité, c’est-à-dire l’encerclement répressif de la société, est le gage de la sécurité nationale.
Un Etat moderne est celui qui n’amalgame pas liberté et flirt incestueux. Un Etat qui fait de la modernité l’inspiration de sa gouvernance et de ses relations sociétales le credo inaliénable garantit sa pérennité. Un Etat qui épouse la vision moderne des choses de la vie et de l’éternité est cet Etat qui fait de l’émancipation citoyenne le gage, l’unique gage de lendemains sans failles.
La terreur par la répression désinvolte et sans répondant amène, tôt au tard, à la guerre civile. Le Maroc a dit non à cette option du politique myope et hybride. Il a dit non, en 1965 déjà, à l’embrigadement de la société et de l’Etat. Il l’a redit en 1980-81, en 1987 et en 1990. Il l’a crié de belle manière le 25 mai 2003 à Casablanca, cette ville aux mille sacrifices. Et dans cet élan civilisé, la démocratie était présente, de manière peut-être élitiste, mais elle a fait vibré le cœur et la raison de trente millions de Marocains, petits et grands, femmes et hommes, par-delà leurs divergences tactiques et culturelles.
Soyons alors sincères et courageux avec nous mêmes : la démocratie s’élève contre le crime. L’Etat de droit, c’est quoi en définitive ? L’Etat de droit a deux fondamentaux et indivisibles repères : la loi et la justice.
Ceux qui fautent doivent en répondre devant la loi et la justice. Le crime n’a pas de justification dans l’absolu. Le crime a son corollaire, partout dans le temps humain, c’est le châtiment.
Najib BENSBIA, 06/06/2003