Comment s’enrichir au Maroc ? C’est une interrogation qui doit faire rêver bien de monde ! Pourtant, durant la deuxième moitié du 20è siècle marocain, les solutions n’étaient pas pléthore. Soit on était riche de naissance, soit on s’encoquinait avec l’Etat et, par enchantement, on héritait pouvoir et fortune. Avec le temps, cela devint une pratique courante.
La Cour spéciale de justice a beaucoup de travail depuis l’avènement du roi Mohammed VI. Qu’elle soit vigilante ou qu’elle traîne le regard, la CIJ est de toutes les façons noyée de dossiers relatifs à l’abus de biens publics et sociaux, à l’enrichissement illicite, aux détournements divers de fonds etc.
Comment en est-on arrivé à ce degré criard de dépravation ? Pourquoi l’Etat a fermé les yeux sur autant de responsabilité qui, dans tous les cas de figures possibles, ne pouvait s’exercer dans le secret total ? En fait de questions et de réponses, il s’agit plutôt de comprendre quels étaient les soubassements politiques et socioculturels qui ont permis une telle déferlante d’affaires mettant en cause les fortunés d’aujourd’hui, tous ayant eu manne à partir avec les institutions publiques.
La roue dégoulinante
Le temps politique marocain de la première moitié du 20è siècle, nous l’avons suffisamment écrit sur ces mêmes colonnes depuis maintenant deux ans et quelques, a été construit sur deux fondements. Le premier a trait à la gestion socioculturelle de la société globale. Il était entendu, jusqu’à la fin des années quatre vingt du siècle passé que, pour avoir l’oreille du pouvoir d’Etat, il fallait faire montre de sollicitude face à tout ce qui venait des appareils. Ceux-ci, guidés par la trame commune de l’obéissance sans réticence, distribuaient les rôles suivant une courbe descendante allant du haut sommet de l’Etat à la plus basse échelle de la Communauté. Entre le premier et la dernière, un seul échos était valide : regarde, prends et tais-toi.
Cette règle sociale avait un soubassement évident : la culture de la main à la patte pour/par tous. Ce qui induit, bien entendu, le deuxième fondement cultivant l’impunité à l’infini. Quoiqu’il en fût, il était important de s’abreuver de la culture publique dominante stipulant que, pour plaire, il fallait s’exécuter, se servir à chaque coup, partager les bienfaits inhérents à l’acte d’obéissance, tout en faisant vite pour laisser la place à d’autres. La problématique de la punition au Maroc, en ce qui concerne l’enrichissement illicite (sous toutes ses facettes et formes) est automatiquement liée à la gestion politique de la relation permanente entre l’autorité publique (dans ses différentes ramifications) et la présemption de culpabilité. Au Maroc, depuis 1960 jusqu’en 1998, la mise en accusation pour détournements, abus de biens sociaux, concussion etc.… a été traitée au cas par cas, selon la nature et le degré d’implication du concerné dans la mise en œuvre/exécution du mal-Etat.
On le sait, en effet, l’Etat national hérité de l’ancien règne est caractérisé par la permissivité, le népotisme sélectif et, surtout, la prédisposition ‘’naturelle’’ à la corruptibilité. L’Etat marocain de la dernière moitié du 20è siècle avait donc la délinquance facile. Les hommes publics, qu’ils aient été à la banque, à la tête d’établissements publics, chargés de la sûreté nationale ou de la sécurité intérieure et extérieure du pays, les hommes du régime en somme, étaient tous - le ‘’tous’’ est ici confirmé - libertaires. D’où l’enrichissement tous azimuts qui semble, aujourd’hui, mis au ban de la justice. Il faut le souligner, les grands riches actuels ont été, à une très rare exception, au contact de l’Etat, entendre l’Etat d’hier bien entendu. Ce n’est pas un hasard qu’ils soient aujourd’hui très riches, puisque la politique d’Etat, engagée sur une longue période étalée sur quarante ans à partir de 1962, était fondée sur la capacité des hommes publics à frauder, voler, abuser et se faire corrompre. Le périple de l’enrichissement suivait cette courbe accumulatrice. Les grands ‘’poursuivis’’ par la Cour spéciale de justice viennent directement de cette époque.
La leçon bien apprise, même après le changement de la culture publique qui voudrait valoriser la morale et le sens de l’intérêt général, les jeunes loups qui ont actuellement pignon sur rue de la fortune-express racolent avec les mêmes ingrédients qui ont donné les fortunés du passé récent marocain.
Que faire ? Une simple mais délicate option : Que la justice, celle ordinaire avec débats contradictoires, droits de la défense et Cie, fasse son travail, dans la garantie par les hauts sommets de l’Etat de laisser la responsabilité s’exprimer, dans le tort comme à raison.
Najib BENSBIA, 28/04/2004