Le Maroc politique souffre passionnément d’un syndrome acrylique : la culture du compromis. Cette culture est à l’élection ce qu’est l’eau est à la vie dans les milieux partisans marocains, de gauche et de droite, si tant cette distinction a encore une raison d’être signifiée dans le Maroc politique actuel. Et, au centre de cette culture, le tracé de la carte électorale – en fait le retraçage de cette carte – rejaillit cycliquement des entrailles du subconscient de nos PP (Partis politiques) à tous les étages électoraux. Comme si cela pouvait les rassurer, en les assurant d’un gain de voix supplémentaires !
A chaque conjoncture électorale en effet, les PP ressortent cette petite baguette du « toute revoir, tout discuter et tout adopter d’un commun accord ». Vestiges d’un passé qui semble lointain, celui façonné par le sieur Driss Basri (l’ex-ministre d’Etat à tout faire) de malmenant souvenir, cette culture a la peau dure et résiste à toutes les transitions par lesquelles est passé le pays.
Et rebelote…
A tous les étages de la pratique partisane marocaine, les partis politiques se fendent dans les circuits compromissoires possibles et imaginables, plongeant dans les infimes couloirs de la renégociation qui guide leurs « grands » choix, ceux qu’ils estiment nécessaires à engager pour édifier leur devenir. A chaque veille électorale, cette recette magique revient au galop. Elle mobilise les énergies partisanes, emplit leur cahier de charges et participe de la surenchère politique à revendre.
A peine sorti d’une élection, le politique marocain se remobilise pour revendiquer, encore et toujours, cette nécessaire recette pour que l’Etat rembobine la cartographie électorale, redessine les circonscriptions au gré des caprices géographiques des uns et des autres.
On le sait, jadis, c’est-à-dire quand l’Etat avait une méfiance maladive de l’opposition, les »apprentis chirurgiens » du ministère de l’Intérieur éprouvaient un malin plaisir à déstructurer les circonscriptions électorales après chaque scrutin, surtout quand les partis d’opposition (celle de 1963 à 1997) arrivaient à obtenir de bons résultats. L’objectif était de décontenancer ces partis et charcuter la sphère territoriale qui leur avait permis d’obtenir des scores les faisant élire, au grand dam des gardiens du temple électoral national. Cette manie a duré plus de trente années de pratique politique à la marocaine. Les partis politiques d’opposition avaient beau amasser les foules qui leur accordaient leur vote, il leur fallait repartir de presque zéro pour en avoir d’autres. Cela marchait, et à chaque scrutin, le holà cartographique éreintait tout le monde.
Les équilibres à négocier sont ailleurs…
De cette manie est née la culture du compromis : sur la date des élections (alors que la constitution a toujours fixé les termes des mandats communaux et législatifs), sur le tracé de la carte électorale, sur le mode de scrutin, sur le seuil électoral, sur la représentation dans les bureaux électoraux, sur tout en fin de compte. Rien n’était fixé à l’avance, rien n’obéissait aux automatismes en vigueur là où la démocratie élective a bien fluidifié les échéances électorales et les termes des mandats électifs.
Au Maroc de la transition éternelle, le Maroc politique en dérégulation permanente, il fallait – il faut toujours – que partis politiques et ministère de l’Intérieur s’assoient autour d’une table, remettent sur le tapis l’ensemble des rouages qui font une élection, de la plus petite à la plus importante des procédures. Elle est fantasmagorique l’histoire électorale marocaine !
Aujourd’hui, à l’ombre de la constitution du 1er juillet 2011, celle que tout le monde, mais alors tout le monde, a apprécié dans son contenu – avec les réserves déclarées et l’espoir d’avoir mieux -, les PP veulent vivoter à l’aune de cette culture du compromis. Ils veulent rediscuter le seuil électoral, renégocier le taux permettant aux uns et aux autres (en fait les petits et ceux qui ne savent plus où ils en sont) de disposer d’un groupe parlementaire au sein de la Chambre des Représentants… Ni fatigués ni blasés, nos PP s’acharnent à tout remettre à plat, à trouver le compromis qui, sans irriter les uns, satisfasse les autres. La machine infernale en somme.
L’Etat, au plus profond de ses instincts conservateurs, joue le jeu, presque à son corps défendant. Il veut se donner bonne conscience, croyant qu’obéir à la mansuétude du compromis (qu’il a installé de son propre chef, il faut l’avouer) permettra d’aplanir les différends. Il a, par inadvertance conjoncturelle, omis que les différends sont ailleurs. Ils sont dans le plein emploi, la santé pour tous, l’habitat décent, l’endiguement de la pauvreté et de la cherté de la vie, la maitrise des équilibres économiques globaux, la défense des intérêts nationaux à l’échelle internationale.
N’est-il pas temps pour que tous les acteurs fassent le choix structurel adroit, celui de laisser la norme constitutionnelle verrouiller le mandat électoral de manière stable et dans la durée, de fermer la porte aux doléances opportunistes et onéreuses (ça coûte de l’argent et du temps de toujours négocier), de laisser l’électeur s’émanciper en seul arbitre de dernière instance.
Les mandats électoraux sont prévus (dans leurs durée et temporalité), les circonscriptions électorales sont définies dans l’organisation territoriale, locale et régionale, le seuil électoral (6%) et le moindre mal, pour que les bras cassés du multipartisme marocain ne perturbent point l’ordre des choses politiques qui gouvernent ce pays, alors que la date des échéances électorales sont clairement établies et compartimentées dans le corps de la constitution.
De grâce, convainquons-nous que les équilibres à chercher sont ailleurs. Ils sont dans la clairvoyante vision des menaces qui guettent nos faux pas, aux plans national et international. Nos PP doivent le comprendre une fois pour toute, au lieu de toujours quémander les compromis, qui mènent à la compromission.
Najib BENSBIA, ''Maroc oblique'' à paraître en 2019