Najib BENSBIA, 07/11/2002
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L’ONU est - selon les intérêts des puisances - le vaillant gardien du doit international public, nonobstant les faiblesses apparues dans le système de protection de ce droit depuis 1945. En envahissant le Koweït, Baghdad a non seulement écarté d’un revers militaire l’article 51 de la charte, il a en outre négligé le fait que toute agression est honnie par la volonté de puissance occidentalo-américaine dominant le système des Nations Unies.
En effet, par consensus, l’Assemblée Générale de l’ONU avait adoptée (en 1974) la résolution 3314 (XXIX) qui dispose que toute ‘’agression est l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute manière incompatible avec la Charte des Nations Unies...’’.
L’Irak, qui, à un moment donné, a lié le dénouement de la crise qu’il a suscitée à la recherche d’une solution globale au conflit du Moyen-Orient, s’était cru en mesure de se mettre au diapason d’Israël qui, en 1978, a violé la souveraineté libanaise sans qu’il soit sérieusement inquiété par l’ONU. Baghdad a tout bonnement oublié - par défi certain - qu’Israël n’est pas l’Irak, que le monde arabe ne peut revendiquer quoi que ce soit qui ne satisfasse aux intérêts directs et personnels de l’Occident américain.
Quoiqu’il en soit, même à considérer que l’Irak se soit exposé à l'application du principe de la légitime défense collective, telle que définie par l’article 51 (combiné aux articles 39 et 40 afférents à la rupture de la paix) de la charte onusienne, il était tout à fait naturel que les USA ne pussent avoir toute latitude exclusive à interpréter l’étendue de ladite légitime défense selon leur propre appréciation des choses. Or, la manière dont ont été menées les opérations guerrières contre l’Irak montre bien que les Etats Unis d'Amérique ont engagé l’ONU en fonction de leur propre appréciation de la situation, en contradiction matérielle de l’interprétation faite déjà en 1986 par la CIJ (Cour Internationale de Justice de la Haye), interdisant à tout «État d’user du droit de la légitime défense collective contre le prétendu agresseur en s’en remettant à sa propre appréciation de la situation..»
Depuis le vote de la résolution 678, les États-Unis se sont comportés unilatéralement en bras séculiers de l’ONU et à son superbe insu (le cas des bombardements du 16-18 décembre 1998 et de la crise suscitée avec Baghdad en février de la même année). Ce faisant, les USA ont rejeté toute propension à la négociation avec l’Irak avant que celui-ci n’ait été entièrement défait et soumis à la ‘’volonté de la communauté internationale’’ telle qu’elle est appréciée, bien sûr, par l’hyperpuissance mondiale. Le zèle américain est, dans cette affaire, compréhensible car, dès le départ, le consensus politique international dégagé contre l’agression irakienne du Koweït a permis aux USA d’interpeller tout le dispositif coercitif de la charte onusienne, en prenant soin à ce que ce dispositif aille crescendo : constat de la rupture de la paix par l’Irak (articles 39 et 40) par la résolution 660 (2 août 1990), affirmation du recours au chapitre VII (article 51) faisant valoir le principe de la légitime défense (résolution 661 du 6 août 1990), rejet de l’annexion du Koweït par l’Irak déclarée nulle et non avenue par le Conseil de sécurité et embargo total contre l’Irak (résolution 662 du 9 août), contrôle militaire maritime de la région (résolution 670 du 25 septembre de la même année) et, étape décisive, autorisation du recours armé contre les forces irakiennes (résolution 678 du 29 novembre 1990). À partir de cette dernière résolution, il était admis que, quelle que fût l’initiative qu’aurait pu prendre l’Irak, y compris le retrait inconditionnel du Koweït, les USA comptaient bien humilier Saddam Hussein.
Ce qui fut fait à partir du 17 janvier 1991, date de déclenchement de l’offensive multinationale contre les armées irakiennes, d’abord en territoire koweïtien, ensuite au cœur de l’Irak, jusqu’à Baghdad.
Les tristement célèbres agissements de la commission de l’ONU chargée du désarmement de l’Irak puisent ainsi leur ‘’philosophie’’ de cet esprit conquérant américain. En effet, l’Unscom, dont les agissements ont conduit aux traîtres bombardements de Baghdad dans la nuit du 16/17 décembre 1998, ne sont que le prolongement des effets des résolutions 687 et 689 (1991) du Conseil de sécurité, par lesquelles l’Irak se voit imposé l’obligation de contrôle de ses sites militaires et la destruction des armes chimiques, bactériologiques et nucléaires dont l’Irak disposerait. En arrière fond moralisateur et démagogique, toutes ces résolutions puisent leur essence de la philosophie des ‘’quatre D’’ (Droits de l’Homme, Décolonisation, Développement et Désarmement arrêtés dans le cadre de la résolution n° 2734 (XXXV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies-1970) portant ''Déclaration sur le renforcement de la sécurité internationale''.
Avec le recul relatif que nous permet l’actualité guerrière du conflit irako-américain (c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui), il est important de noter que la manière dont a été gérée la crise irako-koweïtienne en cette année 1990-91 s’assimile à une véritable politique de représailles. Le recours-alibi aux différents articles de la charte (cités ici par souci de documentation) ont servi, en fait, à justifier un esprit revanchard américain et une logique de guerre infaillible.
En recourant à la violation de la souveraineté du Koweït, l’Irak s’est rendu coupable d’agression répréhensible au regard de la charte des Nations Unies. Mais, en répondant à cette agression avec la violence, la brutalité, la barbarie et la volonté de destruction totale dont ont fait preuve et les forces armées américaines (la France n’ayant pas participé aux bombardements aériens de l’Irak, bombardements assurés avec une rigueur meurtrière exemplaire par les forces aériennes US et britanniques), les Nations Unies se sont trouvées en train d’exercer des représailles pures et simples contre l’Irak, au regard de l’article 2, § 4 de la charte de l’ONU.
En définitive, ce n’était pas le retour à la paix et à la sécurité internationales qui primait dans cette crise, mais plutôt la mise hors circuit d’un régime politique indésirable, en l’occurrence l’État de Saddam Hussein. Et en ce sens, les USA se sont mis en flagrant délit de détournement de procédure, usant d’une stratégie politique internationale propre aux Américains et clairement définie par sa diplomatie à l'échelle mondiale.