ONU-USA-IRAK: Logique de guerre et loi du talion

Najib BENSBIA, 30/10/2012

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Le recours armé contre l’Irak, jusque dans son territoire profond, a été le résultat d’une stratégie militaire américaine totale, où se sont imbriqués le politique, l’économique, le diplomatique et mené à la déflagration armée. 


Pourtant, la logique guerrière qui a prévalu dans le règlement de la crise du Golfe aurait dû être appréciée différemment par les européens, du moins par la France, qui était au fait des causes réelles et profondes des autorités irakiennes au moment de leur prise de décision d’envahir le Koweït. D’autant qu’un observateur aussi averti que Jean Lacouture affirme que F. Mitterrand est ‘’très au fait des questions financières et géopolitiques qui se posent et que Saddam Hussein tente de régler  par les armes. Si le dictateur de Bagdad s’est jeté sur le Koweït, c’est à la fois pour des raisons anciennes et sous la pression d’une nécessité immédiate’’, dont la dette extérieure qui risquait d’étouffer le régime irakien.

La France, tout comme la Grande Bretagne, sait que l’appartenance du Koweït à l’Irak n’est pas une simple idée en l’air, invoquée pour justifier on ne sait quelle facétie belliqueuse. Le Koweït est une création de la Grande Bretagne. L’Irak, alors dirigé par Le Général Kacem, avait refusé la mise sous  protection, en 1961, par l’Angleterre d’une partie territoriale que les Irakiens considéraient la leur, le Koweït en l’occurrence. Le Président français connaissait ‘’le caractère artificiel du Koweït des Al-Sabah, État patrimonial fabriqué par des stratèges anglo-américains en 1961 pour contenir l’Irak et le punir d’avoir allumé un nouveau foyer révolutionnaire’’(1), en organisant la révolution de 1958, qui a aboli le régime monarchique et instauré la République d’Irak.

Mais, cette conscience du bien fondé historique de la revendication irakienne ne pouvait, en 1990, être acceptée par les Nations Unies, et moins encore être tolérée par les occidentaux du fait, d’une part, que l’ONU soit composée d’Etats membres dont une bonne partie est née avec la colonisation européenne en Afrique et en Asie. Il ne pouvait, d’autre part, être désormais admis que les pays à passé colonial revendiquent les territoires que la colonisation avait remodelés en fonction de ses objectifs stratégiques coloniaux. Cela entrait en conflit avec le principe fédérateur de l’intangibilité des frontières qui a fait couler beaucoup d’encre au lendemain des indépendances africaines notamment.

Il était donc bien évident que l’ordre international né de la seconde guerre mondiale, consacré par l’avènement de l’ONU, fixât les limites structurelles infranchissables, à savoir le respect de la souveraineté des États membres de l’ONU, dont le Koweït est une partie reconnue et d’un intérêt vital pour l’économie occidentale. D’autre part, ce n’est pas la France, ex-puissance coloniale, qui avait également retracé les frontières africaines selon les desseins qui servaient sa politique de nation dominante, qui allait remettre en cause l’existence du Koweït en tant qu’État souverain. D’où la détermination du Président français en exercice alors (F. Mitterrand) de faire corps avec les USA pour déloger l’Irak de ‘’Koweït City’’.

Face aux USA, toute l’Europe ne pouvait donc qu’adhérer à la nouvelle conceptualisation du «nouvel ordre mondial», ouvert par l’affaissement de l’Union Soviétique et ordonné sous l’hégémonie une, unique et indiscutable américaine. Par ce conflit (irako-koweitien) qui leur était offert, les USA vont pouvoir enfin (du moins le croyaient-ils) organiser la région à leur guise.

En effet, pour la France, comme pour le reste du monde, avec le ghetto irakien, ‘’aucune puissance extérieure n’est plus désormais en mesure de se faire entendre à Washington; mais Israël est aussi une puissance intérieure (des USA s’entend) qui pèse d’un poids décisif sur les décisions du Congrès’’. Dès le moment où les États-Unis étaient sûrs de leur capacité de décider au nom du reste du  monde, l’ONU fut – est - utilisée comme paravent international à leur croisade contre Saddam Hussein, que les Américains confondent avec l’Irak : État, peuple et civilisation.

Comment va s’effectuer cette usurpation ? Le plus simplement du monde. En lisant les principes de la charte des Nations Unies sous l’angle de la guerre, et non de la paix, comme le veulent la philosophie et l’esprit fondateurs du maintien de la paix et de la sécurité internationales…

Se référant à l’article 51 (chapitre VII) de la charte des Nations Unies, qui reconnaît expressément «un droit naturel de légitime défense, individuelle et collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée», les USA vont déclencher, dès l’annonce de l’invasion du Koweït par les troupes armées de Baghdad, toute la logistique juridique prévue pour mettre en échec, puis pour punir l’agression irakienne. Bien sûr, la mise en œuvre du dispositif de réaction fut d’une célérité inaccoutumée à l’ONU.

La bousculade des résolutions et la hâte avec laquelle les Américains dépêchèrent leur armada de guerre dans les eaux du Golfe et en territoire saoudien a fait prendre conscience aux occidentaux, et particulièrement à la France, la détermination des USA à mettre en branle la machine militaire irakienne, comme le pressentait cette déclaration du Président français, François Mitterrand,  à son ministre de la Défense, J. P. Chevènement de retour d’Arabie Saoudite: ‘’Il n’est pas possible que nous restions étrangers à ce qui va probablement se passer. C’est une vue de l’esprit! Que cela vienne(...) d’une attaque américaine, ce qui est infiniment plus probable. L’important est que la France garde une autonomie de décision (...) si les États-Unis prennent un prétexte, il faudra pouvoir l’apprécier. (...) Je n’imagine pas que Bush ait déployé les moyens qu’il a mis en oeuvre s’il n’était pas décidé à régler cette affaire militairement au plus vite...’’ (Jacques Attali, Verbatim III).

La stratégie américaine était claire dès avant que le Conseil de sécurité ne donne son aval à l’entrée en action des forces multinationales contre les troupes de Saddam Hussein, d’abord en territoire Koweïtien, ensuite au plus profond de l’espace national irakien, jusqu’au cœur de Baghdad. La France, s’est évertuée, à son tour, à s’illusionner qu’elle intervenait pour prémunir l’Arabie Saoudite d’une éventuelle attaque irakienne. On avait, en effet, fait croire que l’Irak ne s’arrêtera pas à ‘’Koweït City’’, le reste des monarchies du Golfe devant essuyer la colère de Saddam.

Il est inutile de déblayer le discours diplomatique des uns et des autres des protagonistes de cette triste épopée pour déchiffrer si une telle éventualité était à l’ordre du jour militaire des troupes irakiennes, ou ce ne fusse que fantasmagorie de l’esprit guerrier de l’Occident, qui cherchait tout prétexte pour entrer en guerre contre l’Irak. Une chose est sûre, cependant : dès le 30 octobre 1990, Mikhaïl Gorbatchev, qui a joué un rôle insignifiant dans cette affaire, a cru de bon ton de confier au Président français la volonté de Saddam Hussein de faire intervenir le Roi Fahd pour jouer le conciliateur arabe, en vue d’un possible retrait du Koweït. Pour l’Irak à ce moment là, bien que le retrait fût une chose bien pénible pour la démarche guerrière qu’il a adoptée vis-à-vis du Koweït pour régler un différend financier, il apparaissait que l’Arabie Saoudite pouvait jouer un rôle positif pour le dénouement de cette malheureuse randonnée koweïtienne de l’Irak.

Jean Lacouture transcrit (à partir de Verbatim III) les bribes d’un dialogue qui aurait eu lieu entre le Président d’URSS (Gorbatchev) et François Mitterrand le 30 octobre 1990 à Paris comme suit (lire texte entier de l’entretien en annexes) :

‘’- Gorbatchev: Primakov (ancien ambassadeur d’URSS en Irak et ex-Premier ministre russe) a eu l’impression que, sous la pression des circonstances, la direction irakienne s’achemine vers un retrait du Koweït. Mais c’est un processus très pénible. Saddam Hussein paraît mieux disposé vis-à-vis de l’Arabie Saoudite... Il y a donc un certain nombre de ‘’signaux’’ indiquant un changement de la direction irakienne en faveur d’une solution politique: Saddam Hussein n’acceptera pas une solution signifiant sa défaite politique, morale ou autre. S’il se révélait nécessaire de faire quelques pas vers lui, fussent-ils minimes, symboliques, mieux vaudrait les faire dans le cadre du monde arabe.

- F. Mitterrand : Cela suppose l’accord du roi d’Arabie.

- Gorbatchev : Dans l’hypothèse d’une variante arabe, c’est au roi Fahd que Saddam Hussein compte voir jouer le rôle primordial, et non pas à Moubarak, qu’il n’acceptera jamais. Saddam Hussein a demandé à Primakov de le dire aux Saoudiens. Donc, il y a là des éléments positifs...’’

Les propos tenus par Gorbatchev rappellent le discours de Mitterrand du 24 septembre 1990 devant l’Assemblée Générale de l’ONU, qui préconisait une option interarabe en vue d’une solution au conflit irako-koweitien. Or, on le sait, les Américains avaient déjà signifié au Président français un ‘’niet’’ irrévocable. Le retrait graduel de Gorbatchev de la scène soviétique, la défaillance de tout le camp socialiste à ce moment précis de l’Histoire humaine n’ont pas permis à l’URSS de jouer un rôle à la mesure de l’événement. Ce qui a permis aux USA de pousser toute la communauté internationale dans la logique de guerre, qui a fini par noyer le monde arabe, acculé à bénir l’agression contre l’Irak.

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