Najib BENSBIA, 21/11/2002
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La fin de la guerre irako-iranienne est l’amorce d’une crise de confiance que vont émailler de leur toile vénéneuse les relations entre Baghdad et ses voisins du Golfe arabique. Le régime irakien estime, à raison peut-être, que la guerre qu’il a menée contre l’Iran puise, entre autres faits objectifs, sa raison dans la menace qu’était supposé constituer le nouveau régime iranien sur les monar-chies du Golfe. L’islamisme régnant alors à Téhéran ne pouvait à l'époque, en effet, qu’être en conflit ouvert avec le traditionalisme oisif des Émirats du Moyen-Orient.
Il n’est pas rationnel de s’attarder sur les ''raisons historiques'' justifiant (du point de vue irakien) l’invasion du Koweit. D’ailleurs, il n’existe pas un État arabe, en tant qu’entité organisée à l’aube du 20è siècle, qui n’ait pas vu son territoire amputé d’une (ou plusieurs) province(s) faisant partie intégrante de l’État national d’avant la colonisation européenne. La politique du démembrement/affrètement de territoires, au gré de la volonté coloniale et jusqu’en 1950, a blessé dans leurs corps tous les Royaumes arabes, du Maroc à l’Égypte, de l’Irak à la Syrie, de la Palestine au grand Yemen... Or, au lendemain de l’indépendance, si chaque État démembré devait revendiquer la partie de territoire disloquée par la force coloniale, la guerre entre les États arabes aurait été permanente, meurtrière et sans issue.
Les faits politiques sont, à cet égard, têtus. L’Irak a tout simplement snobée une réalité ringarde : Le Koweit est, pour les USA, une réserve de pétrole tout comme les autres micro-États du Moyen Orient. Il n’était pas question, en 1990, que le régime irakien, rebelle à toute hégémonie occidentale s’appropriât cette réserve...
Sur un plan strictement financier, à l’issue de la guerre contre l’Iran, l’Irak, qui cherchait à ce que les cours de pétrole lui permettent de renflouer les caisses de sa trésorerie, s’est heurté à la manie spéculative des autorités koweitiennes et des Émirats Arabes Unis. Ces pays ont veillé à faire dégringoler les prix du baril du pétrole (qui sont passés de 21-18 dollars le baril à 11 dollars seulement alors), jusqu’à rendre les transactions du marché international du brut inutilisable. L’Irak avait estimé, lors d’une séance à huis clos du Sommet arabe tenu à Baghdad en 1990, que la spéculation entretenue par le Koweit et les Émirats dans le domaine de l’énergie pétrolière pouvait être assimilée à une ‘’guerre contre l’Irak...’’. La menace, à peine voilée des autorités irakiennes, n’a servi à rien, le Koweit et d’autres pays du Golfe ayant continué à noyer le marché du brut de quantités incommensurables de pétrole. Ce qui aurait fait perdre à l’Irak quelque 14 milliards de dollars.
Il n’est pas question ici de refaire l’historiographie de la crise d’hystérie qui a amené Baghdad à envahir un État arabe souverain du point de vue du droit international. Ce qui est évident est que cette ''tempête du désert'' a un fondement économique certain. L’Irak est alors mis en déconfiture, avec la bénédiction active des monarchies du Golfe et la participation malheureuse des autres membres de la Ligue Arabe, prise en flagrant dénis de solidarité.
D’un point de vue géopolitique, il est certain qu’un État arabe fort, en l’occurrence l’Irak, doté d’une logistique militaire d’appoint et mû par un esprit nationaliste (qaoumi) inébranlable, constituait (constitue encore dans l'absolu) un danger de taille pour la stratégie américaine dans la région du Moyen-Orient. Il était donc dans la logique géostratégique des États-Unis de rompre ce fil, qui obstruait -qui risquait de le faire en tout cas - la quiétude US dans le Golfe arabique. D’où l’opération ‘’tempête du désert’’.
Les faits et les effets catastrophiques de cette opération sont connus. Ce qui l’est moins, du point de vue de la conscience critique, c’est que cette tempête a emporté avec elle, dans son sillage meurtrier, dans son élan destructeur du rêve unitaire arabe, les derniers espoirs de renaissance de l’Oumma arabe, telle qu’elle fut imaginée par les grands altruistes arabes du début du siècle, ces pères fondateurs d’un Islam éclairé, moderne, débarrassé des tendances obscurantistes et retors dont regorge aujourd’hui le monde arabe. Mohamed Abdouh, Chakib Arsalane, Ahmed Amine, redynamisés par Tahtaoui, Ali Moubarak et enchaînés par Georgi Zaîdane et bien d’autres; tous ces illuminés renvoient leur éclairage d’une grande nation animée par le besoin, nécessaire et impératif, de forger, dans l’intérêt de la Oumma, un corps homogène aspirant à la libération de l’Arabe, à son éveil de ce grand sommeil qui frappe les esprits, nos esprits, depuis que l’Oc-cidental a violé la personnalité arabe, en la défroquant, en la renvoyant mille ans en arrière, en la soumettant à l’alter ego du ‘’choc des civilisations’’ chrétienne et islamique.
On peut palabrer à l’éternité sur la responsabilité de l’Irak dans ce qui lui arrive. Il est même de bonne conscience (malheureuse en fait) d’alourdir le fardeau des dirigeants irakiens, et à leur tête Saddam Hussein, en les montrant du doigt comme pour se laver les mains de la destruction de l’Irak, État, peuple et civilisation.
Mais alors, pose-t-on les questions de savoir de quelle responsabilité relève la léthargie qui frappe les chefs arabes ? L’intransigeance américaine est-elle dirigée contre Saddam et ses colistiers ou sert-elle de lanterne rouge à tous les Arabes, gouvernants et nation ? L’Occident chrétien ne règle-t-il pas des comptes avec cet Arabe conquérant, qui a dominé sa conscience pendant une large proportion du temps humain et fouetté, des siècles durant, le clergé aoccidental au faîte de son intolérance ?