Najib BENSBIA, 12/12/2002
-------------
-L’Irak, à l’image de l’ensemble du monde arabe, a subi la dominance coloniale. Dans sa physionomie structurante, la présence coloniale britannique en territoire irakien a revêtu plusieurs formes. Directe et violente au départ, cette présence a connu des moments de ‘’souplesse’’, avec la signature du traité d’alliance entre la puissance coloniale britannique, en 1930, et la monarchie irakienne installée à la fin de la première guerre mondiale.
En effet, l’instauration en 1921 d’une monarchie en Irak signe la naissance de l’État moderne à Baghdad. Entité en genèse complète sur le plan institutionnel, cette monarchie signera le traité d’alliance qui affrètera la souveraineté de l’État irakien à la monarchie anglaise. Ce traité, qui était supposé entraîner l’indépendance de l’Irak, limitera le champ d’action du monarque et aliénera la décision irakienne aux intérêts de puissance coloniale de la Grande Bretagne.
En 1958, à l’instigation de l’institution de l’armée, qui était un bouclier servant le monarque, une révolution (s’assimilant en réalité à un coup d’État militaire) entraînera la déchéance de la monarchie, consécutivement à la liquidation du roi Fayçal et l’instabilité qui va régner en Irak, malgré l’entremise de l'armée et le rôle qu’elle s’est assigné pour cantonner les troubles et protéger l’Irak des mouvements répétés de démembrement, qui vont finalement déstabiliser la monarchie avant de lui asséner le coup de grâce final par l’instauration du régime républicain.
L’avènement du Conseil supérieur des officiers, qui prend le pouvoir en 1958, est animé par des aspirations panarabes. Dirigé par 15 officiers de la hiérarchie militaire, ce Conseil est pluriel, ce qui rompt avec l’exercice dominant en Irak, sa composition ne reflétant plus l’obédience d’un groupe social ou confessionnel unique, comme ce fut le cas pendant longtemps sous le système monarchique. Les 15 officiers du Conseil de la révolution étaient tous de père arabe. Treize d’entre eux étaient de tendance sunnite dont onze natifs de Baghdad. Cette identité harmonieuse (sunnite, baghdadie et arabe) leur assure une crédibilité certaine et leur nationalisme arabe ne pouvait souffrir de suspicion. Un autre atout caractérisait ce Conseil, l’appartenance sociale de ses membres. Leur leader, Abdelkrim Kacem, était d’appartenance modeste, alors que tous les autres appartenaient à la classe moyenne irakienne. D’où la sympathie du peuple à l’égard de ces ‘’libérateurs’’ populaires. De plus, la plupart de ces officiers étaient de père militaire ou de petits fonctionnaires servant l’État.
L’élimination, en 1962, de Abdelkrim Kacem et son remplacement par Abdeslam Aâref, qui est élu président de la république irakienne par la hiérarchie militaire, donne le coup d’envoi à la deuxième phase de la vie politique irakienne. Le baâthisme, en tant que courant politique dominant, réapparaît sans pour autant avoir les coudées franches dans le façonnement des institutions et de l’État. Même lorsque le parti Baâth réinvestit les appareils d’État, après l’évincement de Aâref, en 1963, l’Irak vivra, en effet, au rythme de la militarisation de son espace politique national. D’ailleurs, ce n’est qu’après le coup d’État de 1963, contre le président élu par la hiérarchie militaire elle-même, que le Baâth participe directement à la promotion des dirigeants du parti en officiers supérieurs de l’armée, comme ce fut le cas pour l’actuel Président, Saddam Hussein, qui n’est pas un militaire de carrière.
À l’instar donc des autres régimes arabes des années quatre vingt, l’Irak d’avant la première crise du Golfe (guerre contre l’Iran) et, à plus forte raison celui d’aujourd’hui, est soumis à la volonté de puissance de ses dirigeants, autrement dit de Saddam Hussein et son clan de dignitaires du parti et de l’armée. Évoluant en vase clos, entre les baâthistes et les officiers militaires, le pouvoir irakien est rigoureusement cadenassé par Saddam, qui continue de régner en maître absolu sur le pays, État et société. La déconstruction de l’Irak au nom du leadership américain n’a fait que renforcer l’emprise du régime sur la société irakienne, alors que l’armée n’a plus les moyens structurels pour jouer son rôle classique, dépourvue qu’elle est des moyens logistiques qui font l’identité de toute institution militaire classique. Le seul rôle actuel de l’armée irakienne est de museler la voix du peuple en le cantonnant dans un seul clan, celui d’une nation obéissant au maître qui fait face au diktat américain. Que peut-on attendre d’une population anéantie par un souci somme toute élémentaire pour tout être vivant ? Survivre au blocus que lui impose un système des Nations Unies aujourd’hui au service de la puissance américaine!... Se révolter contre ses dirigeants ? En temps de guerre, une telle attitude ne peut être assimilée qu’à une trahison. L’Irak est en guerre totale avec l’Occident. Et cet Occident est à la merci de l’impudence américaine. En s’entêtant à faire de la mise à mort politique de Saddam Hussein la clef de voûte pour en finir avec le calvaire que vivent les populations irakiennes, cet Occident orchestre le génocide en prélude à la liquidation intégrale d’une société, d’un peuple et la mortification de l’État.
Les onze années et des poussières passées (depuis 1991) par les ‘’décideurs’’ de Washington à vouloir détrôner le président irakien ont abouti au résultat inverse, le renforcement du régime irakien qui se pose en martyr de la lutte de libération nationale. Parce que la dignité de tout un peuple est meurtrie. Parce que cet Américain, qui rouspète dans le désert, oublie - veut oublier - qu’il a violé l’identité arabe au nom de laquelle toute une civilisation a été bâtie. Cette civilisation, qui s’inscrit au lointain de l’histoire humaine, a été construite patiemment voilà des milliers d’années.
L’Irak d’aujourd’hui est l’héritier direct de la civilisation sumérienne qui a éclairé l’univers de l’Homme sur une période s’étalant de 3500 à 2500 avant J.C. Cette civilisation, enrichie de l’apport abbasside, a montré la voie du progrès à cet Occident qui, au moment où l’Arabe communiquait avec l’espace et la science, se torchait dans l’ignorance et la terreur d’une église moribonde et vindicative...
A l’insu de tout cela, l’Occident américain, sous des prétexte divers, veut en finir avec ce souvenir universel. En cela, la mort de l’Etat irakien est à l’ordre permanent du système de répression américain.